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02 septembre 2015

Brève réponse à Nathanael Uhl et à son article "non-polémique" intitulé : "A gauche, le dangereux leurre de la souveraineté nationale"

Sérieusement ce texte ne répond pas à la problématique posée. Après celui où tu sembles t'amuser à rouler Jacques Sapir dans la boue, nous avons droit ici à une construction rhétorique des plus improbables. Je suppose que l'effort de redresser une logique si défaillante s'avère à ce stade inutile. Mais pourquoi ne pas tenter d'eveiller le sens critique et le courage politique de quelques lecteurs qui auront le loisir de suivre cette polémique?

Le premier problème de ce propos est de prendre l'échec de Syriza comme argument pour démontrer "l'illusion" du principe de souveraineté et d'indépendance nationale.
Je cite par exemple : "l’Union européenne est, dans sa construction politique actuelle – c’est-à-dire dans un rapport de forces politique donné – une machine politique à broyer les peuples. Le nier serait se voiler les yeux. Mais est-ce que le retour au cadre national et à la souveraineté nationale n’est pas une illusion mortifère de plus ? L’exemple grec aurait tendance à faire répondre par l’affirmative."
Que je sache personne à Syriza n'a écrit, ni proposé de rétablir la souveraineté de la Grèce, ni avant les élections, ni après la victoire électorale des législatives, ni avant le référendum de juillet. Où verrait-on que ce projet de "retour au cadre national" fut ici "une illusion" puisqu'il n'a été ni évoqué par le gouvernement Tsipras, ni même - et pour cause - été l'objet d'une tentative d'application ?

Poser l'échec de Syriza comme l'échec du "retour à la souveraineté nationale" serait une belle réussite (pour ceux qui, comme l'auteur, prétendent en démontrer l'impasse) mais faute d'éléments concrets, on reste dans la politique-fiction et la manipulation.
Julien, un commentateur qui ne partage pas ce point de vue, évoque avec raison le cas de l'Islande et prend le contrepied de ce pseudo-raisonnement en disant : "L’exemple islandais (toute proportion gardée) montre qu’on peut, même en étant petit face à un gros, prendre des décisions radicales et bien s’en sortir."
Cette position (à la fois celle de l'Islande et de Julien) illustre pour moi ce que l'on appelle : "le courage politique". Une attitude bien rare à notre époque qui se prête si bien à toutes les connivences privées de circonstances et toutes les renonciations publiques les plus opportunes.
A contrario on peut citer cette citation tirée du même texte : "Laisser à croire qu’un mouvement politique puisse permettre de changer la donne dans le cadre de l’état nation est un mensonge."
Outre le fait que la Grèce n'illustre nullement cette affirmation péremptoire, puisque comme nous l'avons dit ni Tsipras, ni Syriza n'ont tenté de mettre en oeuvre ce projet ; il y a deux arguments tout aussi inutiles qui viennent s'ajouter :
1. Une citation d'Antonio Negri, «l’erreur essentielle des gauches nationales a été de ne pas comprendre que la mondialisation était un phénomène irréversible». Comme si "la mondialisation" était réellement -en elle-même- une fatalité cosmique. En fait rien de tel. On sait bien désormais qu'il s'agit d'une stratégie des milieux oligarchiques, proposée par une poignée d'économistes universitaires tel John Williamson pour le "Consensus de Washington", relayé par les agents US de la Banque Mondiale ou du FMI et enclenché par les décisions ponctuelles de certains gouvernements tels celui de Beregovoy en 91 de supprimer le contrôle des changes. Prétendre ainsi qu'il s'agisse "d'un phénomène irréversible" est ridicule à double titre. C'est premièrement en méconnaitre les ressorts et donc se placer hors de capacité de l'enrayer. Selon l'attitude d'un poisson rouge devant la fuite d'eau de son aquarium. Ensuite c'est renoncer à la pensée elle-même car identifier la mondialisation comme "un phénomène irréversible" c'est renoncer à le comprendre et sous-estimer la capacité de la raison humaine (Sans blague! On se croyrait déjà revenus au Moyen-age). Or le premier mouvement d'une pensée rationnelle, après avoir identifié l'origine d'un phénomène, c'est d'en mesurer la reproductibilité. Sur ce point il ne faut pas faire de longs calculs pour savoir qu'à une phase d'expansion de la finance et du commerce, viendra une phase de contraction et d'épuisement du mouvement. La crise de 2008 avait déjà mis un terme à la période de "mondialisation heureuse" et les crises qui surviennent ensuite ne font que déstabiliser et fragiliser ce système soit-disant "irréversible". C'est un grave manquement de la pensée socialiste (dans le sens premier du terme), à laquelle l'auteur semble prétendre, de manquer ces analyses concrètes et historiques. Manquement que l'on tente de palier en répetant par citation des idioties.
2. Après l'argument d'autorité nous avons droit à l'argument de majorité : "Ensuite, le rapport des Français à l’Europe, pour ambigu qu’il soit, témoigne d’une adhésion à l’Union." Et alors qu'est-ce que ça prouve? Et si une majorité était favorable au nazisme et à l'occupation, cela serait-il un argument pour nous priver de rejoindre -en notre âme et conscience- la Résistance? Est-ce parce qu'on a plus rien à proposer à l'avant-garde comme projet moral, intellectuel et politique que l'on doit rejoindre le troupeau que quelques politologues et statisticiens entrevoient entre la rivière et la forêt? Est-ce celà "le cri du peuple"?! : "rejoignez les médiocres dans l'aveuglement et l'inconsistance de la réflexion !"

Ici il faudrait encore pousser des portes ouvertes... 
Expliquer que la liberté, l'indépendance d'un peuple se mesure à la souveraineté de l'Etat qu'il constitue et qui le soutient. 
Expliquer encore qu'il n'y a pas de démocratie sans souveraineté puisque sans elle, sans titre et sans droit : aucune décision, aucun projet, nul programme - même de progrès social - n'est possible.
Expliquer toujours que le projet d'Union européenne est un leurre anti-démocratique, un leurre celui d'une "Europe sociale" que les socialistes (dont Mélenchon) nous ont promis-juré l'avènement dés la ratification de Maastricht en 1991, du TCE de 2005... 
Mais à quoi bon ? Le simple fait de réflechir posément sur ces questions ne suffit-il pas ? Est-il vraiment nécessaire d'en débattre? Le principe de souveraineté ou d'indépendance ne se défend t-il pas de lui-même ?
Ne suffit-il pas simplement d'un peu de courage et de lucidité et de se dire : "On y va? On les oublie ces gens qui nous disent que plus rien n'est possible, plus aucun rêve n'est utile ? On redevient des citoyens qui se font respecter? Hé l'ami, pourquoi pas ? Hardi les volontaires!"

(Ce commentaire semble avoir été censuré sur le blog "le cri du peuple" proche d'une ligne euro-fédéraliste du PCF) 

01 août 2015

Vive l’Economie politique avec M. Harribey!

Le Pr Harribey écrit dans un article du 23 juillet 2015 intitulé La nouvelle crise arrive : "Il existe aujourd’hui un excédent d’épargne privée dans le monde par rapport au flux monétaire qui irrigue les entreprises, dont la contrepartie est l’endettement".
N’aurait-il pas mieux fallut dire :
“[En contrepartie de l’endettement public], il existe aujourd’hui un excédent d’épargne privée dans le monde par rapport au flux monétaire qui irrigue [le cycle de production et d’échange interne]”. [1]
C'eut été décrire une séquence logique ET ouvrir un autre débat sur le monétarisme. 

1. Une logique

L’endettement public provient du déficit entre recettes et dépenses publiques, du double fait des réductions fiscales pour les hauts revenus et de la perte de contrôle fiscale sur cette épargne.

On peut dire que cette perte de contrôle est causée :
  • a) par la libre circulation des flux financiers (autorisée par les traités UE) ; 
  • b) la fin du contrôle des changes ;
  • c) ceci contribuant à l’évasion fiscale. 
Il faudrait aussi évoquer :
  • d) la réforme normative requalifiant ces fonds non plus en quasi-monnaie dans M3 mais en fonds de placement. Une pirouette qui fait disparaitre des “exécents financiers”, une épargne représentant des sommes collossales (qui vont alimenter la spéculation sur matières premières, devises, actifs industriels, etc.) des calculs. 
  • De plus e) la libre circulation des marchandises, hors toute considération de réciprocité commerciale ou de mécanisme d’équilibre par quotas sont des raisons suffisantes pour expliquer un déficit commercial et la contrepartie d’un “besoin de financement” qui aggrave le niveau d’endettement des ménages, des entreprises et de l’Etat.

2. Un débat

Il est pas difficile de relier ce déséquilibre de l’endettement public à la critique des règles monétaristes et ultra-libérales [2].
Pourtant M. Harribey se prive de cet argument et de cette rationalité analytique d’ordre systèmique. Il nous prive aussi du développement de cette question dans son raisonnement et ses conclusions.
Mais si nous censurons l’implication des thèses et pratiques monétaristes dans les causes de l’endettement public, comment alors en parler et comment y remédier?
Nous ne sommes pas naïfs au point d'ignorer une des raisons de ce silence. On sait bien qu'évoquer le régime monétariste de la sphère financière est un sujet tabou. Ne faudrait-il pas laisser croire que la finance ait toujours été organisée selon les règles monétaristes ?
Dénoncer les thèses de M. Friedmann, c'est aborder une phase de l'histoire économique qui a fait basculer un système où l'Etat avait un rôle déterminant à jouer en vue d'assurer le plein-emploi par la régulation des flux économiques. Dénoncer les thèses de Friedmann et leur application c'est y imputer les déficits publics, la désorganisation, la crise...
C'est là que se trouve le noeud de la question. Car parler d'un Etat régulateur, et de plus, menant un programme d'économie politique à finalité sociale : c'est faire du souverainisme. C'est dire que l'Etat pour être efficace et contrer ces fameux marchés financiers doit disposer des instruments de souveraineté. Des instruments liés à la politique monétaire bien sûr, mais aussi ceux de la politique commerciale, industrielle, financière (par la supervision et la distribution des moyens de l'épargne selon une stratégie publique d'investissement) et sociale. Bref tous ces moyens juridiques de la puissance publique qui selon les règles démocratiques peuvent contribuer à surmonter les crises et offrir des perspectives et des projets à l'ensemble de la population. Oui, nous parlons bien de tous ces leviers de l'action publique qui ont été subtilisés sur le plan national pour être encadrés sur le plan supra-national par le système européiste. Or les traités européens, le système monétaire européen appliquent concrètement ces thèses monétaristes qui elles nous conduisent à la crise.
N’en parlons donc pas.

3. Conclusion et autres escamotages

Une crise s'annonce depuis la Chine, dont ici personne ne serait responsable. "Une crise, ma bonne dame, rendez-vous compte! Quel choc, quelle calamité pour nous tous! Et croyez-moi madame Michu je suis professeur d'Economie Eh oui!"
Ne disons donc pas (à Mme Michu) que rétablir l’équilibre des cycles financiers et des cycles de production et d’échange interieurs passe par la réhabilitation du rôle régulateur de l’Etat-providence.
Quelle erreur ! Nous serions classés parmi "des régulationnistes (des parias issus du dirigisme bolchevique, non?), des souverainistes (des sous-parias qui sont pires puisqu'on y trouve des monarchistes vendéens, des nationalistes d'extrème droite, etc.)". Ensuite nous nous retrouverions privés de certains autres avantages (dont les dispositions sur les conflits d'intérêt, la sécurité des données bancaires et des affaires ou la polémique sur la corruption des élites sociales ne nous permettent pas de développer le détail). Prenons plutôt pour cible ces "souverainistes" comme Jacques Sapir et entrainons-les dans un faux débat où ergoter sur une causalité incertaine [3].

Donc parlons d’autre chose…
Egarons nos lecteurs sur de fausses pistes. Tiens parlons de nobles idéaux alter-mondialistes, sans tenir compte bien sûr de mécanique monétariste ni de régulation d’économie politique. Parlons de “lutte écologique”, Voilà! Saupourons tout cela de “Serge Latouche proposant de sortir de l’économie in abstracto”, de Mohammed Taleb “qui l’insère dans la lutte des classes” et concluons sur “le dépassement des rapports sociaux capitalistes” et "pensons le comme une transition"

Vive l’Economie politique avec Harribey! (que l’on préférait mieux avant). Cette rhétorique de l’esquive, de l’effacement nous laisse pantois et comme… atterrés!
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[1] Toutefois la formule serait encore incorrecte. Il faudrait préciser que l'épargne investie en fonds de placement type OPCVM constitue une quasi monnaie et qu'elle se trouve largement investie dans une "dette monétaire" qui concerne une monnaie en circulation émise contre créance (sur la base juridique de l'Obligation d'Etat) et non plus sur encaisse. Processus qu'Harribey dénonce par ailleurs comme redistribution financière des pauvres vers les riches.
[2] Voir L’origine de la crise : le monétarisme et école de Chicago
[3] Voir Sortir de quoi? À propos de la discussion sur la sortie de l’euro proposée par Jacques Sapir J.-M Harribey 28 avril 2011 .pdf

07 mars 2015

Ukraine : Hystérie occidentale et arbitrage défaillant de l'OSCE

Nous sommes tous surpris et inquiets du nouveau climat d'hostilité qui domine aujourd'hui les relations internationales.
Un vaste mouvement de contestation, déclenché après la suspension d'un accord d'association entre l'Ukraine et l'Union européenne, a provoqué la chute de son président Viktor Ianoukovytch, le 22 février 2014 et fait sombrer le pays dans la guerre civile.
Au sommet de Minsk du 11 février 2015, les dirigeants d'Ukraine, Russie, France et Allemagne ont convenu un ensemble de mesures visant à atténuer la guerre dans la région du Donbass.
Cependant, si le cesser-le-feu Minsk-2 semble respecté sur le terrain, c'est d'avantage sur le plan diplomatique que se poursuit la crise et l'escalade des provocations.
Alors que les Etats-Unis planifient l'acheminement de troupes et de matériel pour rétablir le dispositif militaire ukrainien bousculé par les forces des républiques de Donestk et Lugansk, un concert tonitruant d'accusations et de menaces s'élève à l'encontre de la Russie.
Dans cette confusion il y a une voix que l'on entend pas. Ou plutôt deux. D'abord celle de l'OSCE : Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe née depuis 1975 à la signature de l'Acte final d’Helsinki et ayant pour but de favoriser le dialogue et la négociation entre l’Est et l’Ouest. Ensuite celle de Ban Ki-Moon, secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies.
Hystérie occidentale
Ce Mardi 3 Mars 2015 nous recevions cette nouvelle :
"Barack Obama, François Hollande et Angela Merkel ont promis mardi une « réaction forte » de l’Occident en cas de « rupture majeure » du cessez-le-feu dans l’Est rebelle prorusse de l’Ukraine et appelé à renforcer le rôle de l’OSCE pour surveiller cette trêve.
Cette position a été convenue à l’issue d’entretiens téléphoniques entre les présidents français et américain et la chancelière allemande, mais aussi avec les Premiers ministres britannique, David Cameron, italien Matteo Renzi et le président du Conseil européen, Donald Tusk, a annoncé l’Elysée.
« Ils sont convenus qu’une réaction forte de la communauté internationale serait nécessaire en cas de rupture majeure dans le processus de mise en œuvre » des accords de paix de Minsk 2 conclus le 12 février dans la capitale bélarusse, précise un communiqué de la présidence française.
Sans la mentionner directement, cette menace est clairement adressée à la Russie, accusée par Kiev et les Occidentaux d’armer les rebelles et de déployer des forces régulières en Ukraine" [1]
Pour résumer l'affaire il s'agit d'une déclaration conjointe de pays occidentaux souvent désignés comme "communauté internationale". Elle contient comme le souligne le journaliste "une menace clairement adressée à la Russie". Cette menace de "réaction forte" se trouve conditionnée au respect d'un cesser-le-feu entre des tiers, soit entre les forces armées du Donbass et les forces gouvernementales dont des milices indisciplinées et extrémistes.
Or, loin de considérer cet accord de cesser-le-feu pour ce qu'il est, c'est a dire une suspension des hostilités conditionnée par le respect d'engagements réciproques entre les forces en présence, donc relatif et fragile. On considère abusivement cette trève comme règlement définitif du conflit dont la violation engagerait la responsabilité unilatérale de la Russie. Mais que dire de la responsabilité de l'Ukraine, de la France ou de l'Allemagne qui y ont pourtant contribué et n'en sont ni plus, ni moins garants ?
Outre cette disposition abusive les dégageant de toute responsabilité en cas de reprise des hostilités et cette imputation a priori de la Russie à laquelle est liée une menace grave, ces pays "occidentaux" entendent "renforcer le rôle de l’OSCE pour surveiller cette trêve". C'est là que nous sommes curieux d'apprendre l'origine de cette démonstration d'une si haute tenue et dont la cohérence nous semble familière. Peut-être s'imagine t-on quelque part que l'OSCE doit se contenter de jouer le rôle subalterne d'observateur d'une stratégie de la tension et d'escalade ? Et ce sans s'écarter de sa mission fondamentale "de favoriser le dialogue et la négociation entre l’Est et l’Ouest" ?

L'arbitrage défaillant de l'OSCE
M. Lamberto Zannier, un diplomate italien, ancien réprésentant spécial pour les Nations-Unies au Kosovo entre juin 2008 et juin 2011, est actuellement Secrétaire Général de l'OSCE. Il répond aux questions de Judy Dempsey [2] une journaliste de Carnégie-Europe, fondation dédiée "à la coopération interétatique et à la promotion des intérêts des États-Unis sur la scène internationale" [3]. Il faut souligner ce passage.
Question : "Comment est l'ambiance à l'intérieur de l'Organisation (OSCE) ? Réponse : Il n'y a aucun doute de la part des pays membres orientaux ou occidentaux pour renouveler le mandat de surveillance de l'OSCE. Je pense que tout le monde soutient le rôle de l'organisation. Mais l'atmosphère à Vienne, siège de l'OSCE — reste compliquée. C'est lourd et tendu."
Dans l'ensemble cet entretien n'a qu'un intérêt limité. Il est pourtant révélateur d'un certain climat d'oppression. Ceci transpire jusque dans cet échange, tant par les questions biaisées que les réponses insignifiantes. Par exemple la journaliste fait allusion à une "invasion de l'Ukraine orientale" sans que son interlocuteur ne signale un évènement non-vérifié, une information contraire aux rapports des observateurs OSCE sur le terrain depuis 2014. Comment s'étonner du titre "Mission quasi-impossible de l'OSCE en Ukraine" quand le Secretaire-Général de l'OSCE n'ose plus contredire une simple employée de Carnégie-Europe ? Comment trouver une issue à ce conflit lorsque l'instance d'arbitrage OSCE ne joue plus son rôle et semble paralysée par des considérations étrangères aux principes du droit international ?
Pour revenir à cette nouvelle : "l’Occident menace Moscou de « réaction forte » en cas de rupture de la trêve" ; posons-nous une simple question. L'OSCE en tant qu'arbitre impartial peut-il intervenir à ce moment pour interdire ces propos menaçants qui franchissent un nouveau degré de gravité ? La réponse est aussi simple, elle est inscrite noir sur blanc dans l'Acte final de la conférence d'Helsinki, ainsi que dans la Charte des Nations-Unies :
« Les Etats participants s’abstiennent dans leurs relations mutuelles, ainsi que dans leurs relations internationales en général, de recourir à la menace [...]. Aucune considération ne peut être invoquée pour servir à justifier le recours à la menace [...] en violation de ce principe. »
Deuxième principe primordial « Non-recours à la menace ou à l’emploi de la force » Helsinki 1975 [/strong]
« Les Membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies. »
Article 2.4 Charte des Nations-Unies 1945 [4]
L'utilité de ces articles est manifeste. Leur respect devrait être aussi scrupuleusement observé et leur violation être aussi fermement condamnée par l'OSCE ou l'ONU que l'infraction de n'importe laquelle des autres règles du droit international. En effet le règlement pacifique des différents exige un climat d'entente et de respect mutuel incompatible avec l'usage destructeur d'accusations infondées, de chantages, ultimatum, "ligne rouge" et autres menaces. Il s'agit d'ailleurs d'un autre principe primordial inscrit dans l'Acte final d'Helsinki :
Les Etats participants règlent les différends entre eux par des moyens pacifiques demanière à ne pas mettre en danger la paix et la sécurité internationales et la justice.
Ils s'efforcent, de bonne foi et dans un esprit de coopération, d'aboutir à une solution rapide et équitable, sur la base du droit international.
A cette fin, ils ont recours à des moyens telsque la négociation, l'enquête, la médiation, la conciliation, l'arbitrage, le règlement judiciaire ou à d'autres moyens pacifiques de leur choix, y compris toute procédure de règlement convenue préalablement aux différends auxquels ils sont parties.
Au cas où elles ne parviennent pas à une solution par l'un des moyens pacifiques ci-dessus, les parties à un différend continuent de rechercher un moyen, convenu mutuellement, de résoudre pacifiquement le différend.
Les Etats participants, parties à un différend entre eux, ainsi que les autres Etats participants, s'abstiennent de tout acte qui pourrait aggraver la situation au point de mettre en danger le maintien de la paix et de la sécurité internationales et rendre ainsi plus difficile le règlement pacifique du différend.
Principe primordial V. Règlement pacifique des différends Helsinki 1975
Il résulte de ces quelques éléments que le réglement de la crise ukrainienne est une question plus vaste que celle du simple respect d'un cesser-le-feu ou de l'envoi d'un nombre supplémentaire d'observateurs [5]. Se focaliser sur ces questions est une erreur et n'aboutirait qu'à un enlisement du conflit ou à créer une zone de tension permanente. En rester là ne ferait encore qu'affaiblir la mission généraliste de l'OSCE d'instance de dialogue Est-Ouest fonctionnant sur le mode du consensus. Au lieu de maintenir cette institution dans son rôle premier de veiller à l'application de tous les principes d'Helsinki on avalise son abaissement dans un rôle d'agent subalterne.
C'est pourquoi nous sommes en droit d'attendre de l'OSCE une attitude plus responsable. En particulier une prise de position à l'encontre "de tout acte qui pourrait aggraver la situation au point de mettre en danger le maintien de la paix et de la sécurité internationales et rendre ainsi plus difficile le règlement pacifique du différend". Sont évidemment concernées à ce titre les options abusives consistant à empiller des trains de "sanctions" contre la Russie hors du cadre de légalité internationale et autre acheminement de forces vers l'Ukraine ou la frontière Russe.

Conclusion
Pour conclure brievement il faut rappeller que ce n'est pas la première fois que l'OSCE déçoit ceux qui ont cru à cet engagement de bonne foi des signataires en faveur de la Sécurité et la Coopération en Europe.
En Yougoslavie de nombreux principes d'Helsinki ont été bafoués sans que l'OSCE ne trouve beaucoup à redire. Notamment en ce qui concerne l'ingérence de puissances occidentales telle que l'Allemagne dont les services et autres officines ont pu librement jouer la déstabilisation sans souci de non-ingérence ou d'inviolabilité des frontières. [6]
Lors du référendum de 2005 sur le Traité européen, l'OSCE n'a pas émis un seul rapport ni une seule note concernant la conformité des nouvelle normes européennes avec le droit international et les principes énoncés dans l'Acte final de 1975. Or il semble que de nombreuses dispositions du Traité de Lisbonne de 2007 - directement copiées dans le Traité de 2005 - soient en conflit direct avec Helsinki et même la Charte des Nations-Unies, surtout sur les questions de souveraineté, du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ou de non-ingérence dans les affaires intérieures. [7] Qui donc peut mieux comprendre que nous qui en subissons la tyranie, le refus d'autres de voir leur pays entrer dans le carcan de l'Union européenne ?
De même l'implication Etatsunienne dans la subversion de l'hiver 2013-2014 à Kiev n'a pas été éclaircie. L'OSCE tarde beaucoup trop à rappeler au respect du droit international le plus élémentaire, une puissance entrainée dans une course sans frein à l'ingérence et à la provocation. Un bellicisme pourtant dénoncé par Jack Matlock, ancien ambassadeur US auprès du Kremlin. [8]
Avec ce recul bien des illusions sont tombées et il est plus facile de comprendre ce propos de M. Poutine en 2007 :
« On tente de banaliser l'OSCE pour en faire un instrument au service d'un groupe de pays au détriment d'un autre », a déclaré le président russe. « Telle est la tâche poursuivie par l'appareil bureaucratique de l'OSCE, qui n'a absolument aucun lien avec les pays fondateurs, par ce que l'on appelle les organisations non-gouvernementales, formellement indépendantes mais en réalité financées et, par conséquent, contrôlées », a souligné le chef de l'État russe. « On veut banaliser l'OSCE et en faire un instrument au service d'un groupe de pays ». [9]
N'est-il pas temps de revenir à l'essentiel des principes d'Helsinki - avec ou sans OSCE -, de renouer avec la bonne foi, la cordialité et la coopération loyale dans les relations internationales ?


Notes

[1] Ukraine : l’Occident menace Moscou de « réaction forte » en cas de rupture de la trêve Journal Libération 3/03/2015 http://www.liberation.fr/monde/2015...
[2] The OSCE’s Near-Impossible Mission in Ukraine 5 mars 2015 http://carnegieeurope.eu/strategice...
[3] Fondation Carnégie pour la paix internationale Wikipédia 2015 http://fr.wikipedia.org/wiki/Fondat...
[/strong] http://www.axl.cefan.ulaval.ca/euro...
[4] Charte des Nations-Unies Chap. I Buts et principes https://www.un.org/fr/documents/cha...
[5] "Le déploiement d'observateurs de l'OSCE sur les actuels points chauds de l'est de l'Ukraine demandera un nouveau mandat, a réagi mardi l'organisation après une annonce en ce sens de Kiev. "Pour qu'il y ait plus d'observateurs, et pour qu'il y ait un changement substantiel des lieux où ils sont basés, il faudrait un changement du mandat", a déclaré à l'AFP le porte-parole Michael Bociurkiw, qui s'exprimait au téléphone depuis l'Ukraine." Ukraine : déployer plus d'observateurs requiert un nouveau mandat selon l'OSCE http://www.lepopulaire.fr/france-mo...
[6] "La République fédérale d'Allemagne a fortement poussé à la scission du Kosovo depuis le milieu des années 1990 (voir les informations à ce sujet de german-foreign-policy.com [3]). Elle renoue ainsi avec sa politique à long terme d'affaiblissement et d'émiettement de la Yougoslavie, dont on peut remonter le cours jusqu'aux années 1960. Quand le gouvernement de la République fédérale a remarqué en 1962 un nationalisme croissant dans la république constituante yougoslave de Croatie, le service de renseignements fédéral allemand (BND) a établi des contacts avec le groupe des fascistes oustachis au sein des organisations yougoslaves en exil. A partir de 1966, le service allemand d'espionnage à l'étranger a considérablement augmenté le nombre de ses agents en Yougoslavie.[4] A partir de 1971, face aux manifestations de masse nationalistes en Croatie, le BND a misé sur des mesures actives pour déstabiliser l'Etat yougoslave. A partir de 1980 enfin, sous l'autorité du président du BND et futur ministre des Affaires étrangères Klaus Kinkel, le démembrement de la Yougoslavie a été accéléré, avec tous les moyens dont dispose un service de renseignements.
Parallèlement, le ministre-président de Bavière Franz-Josef Strauss a été l'initiateur de mesures destinées à détacher économiquement la Slovénie et la Croatie de la république fédérative de Yougoslavie. On s'est servi du "groupe de travail Alpen-Adria" créé à la fin des années 1970, dont le but était de rapprocher de l'Allemagne du sud, par une politique d'"organisation de l'espace", d'anciennes provinces de l'Empire austro-hongrois, dont des Bundesländer autrichiens et le nord de l'Italie (Bolzano-Alto Adige/"Südtirol"). Des représentants des parlements régionaux de Slovénie et de Croatie - les deux régions avaient elles aussi fait partie de l'Empire austro-hongrois - ont participé dès le début aux réunions de l'organisation Alpen-Adria. Un Français avait critiqué cette coopération, "officiellement subventionnée à des fins culturelles par des crédits bavarois" pour "aider, en Slovénie et en Croatie, des groupes qui se détournaient de tout ce qui était serbe" : "C'est ainsi que la séparation a été préparée psychologiquement."
L'Allemagne de l'Ouest a encouragé de plus en plus ouvertement les gouvernements régionaux de Ljubljana et de Zagreb à faire sécession, quand la Yougoslavie, en 1987, s'est trouvée au bord de la faillite à cause d'une crise de paiement des dettes, et qu'elle a dû se soumettre à un sévère programme d'adaptation des structures du Fonds monétaire international (FMI).[6] L'argument de Bonn a été que la Slovénie et la Croatie n'auraient une chance d'être admises dans l'Union européenne que si elles se séparaient du Sud pauvre de la Yougoslavie. Fortes de ce soutien, la Slovénie et la Croatie ont déclaré leur indépendance en juin 1991, en violation de la Constitution yougoslave. La première guerre de sécession en Yougoslavie s'en est suivie. Tout d'abord, mis à part l'Allemagne, l'Autriche et le Vatican, aucun Etat n'était prêt à donner son accord pour un démembrement du pays. Aussi le gouvernement fédéral a-t-il brusqué, début décembre 1991, ses alliés de l'UE et de l'Otan, ainsi que ceux de l'ONU, menaçant pour la première fois depuis 1945 d'un cavalier seul de l'Allemagne sur la scène internationale : l'Allemagne annonça que même si aucun autre Etat ne la rejoindrait, elle allait reconnaître fin 1991 l'indépendance nationale des deux républiques sécessionnistes.
Washington, Londres et le secrétaire général de l'ONU Perez de Cuellar ont alors exprimé leur inquiétude. Ils ont demandé à Bonn de renoncer purement et simplement à la reconnaissance unilatérale des deux Etats, et ils ont mis en garde contre la guerre que provoquerait en Bosnie-Herzégovine la sécession de la Slovénie et de la Croatie. Le secrétaire général de l'ONU Perez de Cuellar a textuellement écrit ceci au ministre des Affaires étrangères Hans-Dietrich Genscher : "J'espère que vous avez pris connaissance de la grande inquiétude des présidents de la Bosnie-Herzégovine et de la Macédoine, et de beaucoup d'autres personnes, qui considèrent qu'une reconnaissance sélective prématurée pourrait entraîner l'extension du conflit actuel aux régions politiquement très sensibles. Une telle évolution pourrait avoir de graves conséquences pour l'ensemble des Balkans."[7] A nouveau, des voix s'élèvent aujourd'hui pour des mises en garde analogues, face à la sécession imminente du Kosovo. 

Pas plus qu'il ne l'a fait hier, le gouvernement fédéral ne s'en formalise aujourd'hui. Lors d'une séance de nuit à Bruxelles, le 15 décembre 1991, en faisant des concessions d'ordre économique et politique dans d'autres domaines, Hans-Dietrich Genscher a pressé ses homologues de l'UE de prendre une décision, par laquelle l'UE en son entier reconnaissait la sécession de la Slovénie et de la Croatie pour janvier 1992. Peu de temps après, en avril 1992, la guerre se déclencha en Bosnie-Herzégovine. Déjà, la presse française avait décrit avec clairvoyance la politique allemande dans l'Europe de l'Est et du Sud-est : "L'Allemagne réunifiée pourrait être tentée de jouer de nouveau un rôle dominant dans cette partie de l'Europe, et, pour y parvenir, d'attiser des conflits en jetant de l'huile sur le feu." http://www.german-foreign-policy.co... 
[7] "Cependant il faudrait savoir si cette mise au placard d’Helsinki n’est pas délibérée puisqu’il existait une Organisation chargée de promouvoir les principes de sécurité et de coopération en Europe (OSCE). Or cet OSCE semble se faire fort de ne jamais faire parler d’elle. Lui a t’on seulement demandé de rendre son avis sur le texte du TCE ?" TCE de Giscard : la trahison d’Helsinki 21 mai 2005 http://www.monde-solidaire.org/spip...
[8] Ukraine : le bellicisme d’Obama dénoncé par d’anciens ambassadeurs américains http://re-informe.com/ukraine-le-be...
[9] Munich, 10 février 2007 http://fr.sputniknews.com/internati...