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19 février 2013

L'origine de la crise : monétarisme et école de Chicago

Une opinion courante se trouve rarement remise en question dans les débats sur la crise économique dans les médias. Pourtant il semble bien qu'elle se retrouve à l'origine du phénomène sinon la cause principale. En tout cas en oubliant d'aborder directement ce point essentiel on passe à coté pour en faire « le point aveugle », « l'angle mort » du débat qui marque un faible souci d'objectivité et de lucidité, un défaut d'expertise, voir une certaine volonté de manipulation des foules.

Aucun observateur attentif de l'évolution économique de ces 40 dernières années - depuis la fin de l'étalon-or décrétée par Richard Nixon en 1971 jusqu'à la nouvelle mode de la « cure d'austérité » adoptée en France par l'équipe exécutive de F. Hollande - ne peut ignorer le tournant de politique monétariste initiée par M. Friedman et l'école de Chicago et dès lors mise en œuvre par les institutions internationales telles que le FMI et la Banque mondiale au dépend des nations et des peuples.

Or cette doctrine monétariste offre une représentation incorrecte et inadaptée du statut et du rôle de la monnaie. Cette conception biaisée et idéologique conduit logiquement à l'impasse dramatique de la crise financière et économique que nous connaissons. Une crise que nous pouvons qualifier de « monétariste » qui risque immanquablement de s’aggraver faute de mesure efficace et énergique ciblant une cause déterminante du problème. Pour le démontrer il est nécessaire de remettre en question non seulement les postulats de base de cette doctrine dominante dans les milieux financiers mais de dévoiler les intentions implicites et non-dites1 qu'elle dissimule ainsi que les manœuvres subversives qui ont permis la mise en œuvre des mécanismes désastreux de la formule monétariste au sein des institutions publiques.

L'intérêt de cet article est de mettre en lumière ces éléments occultés du débat, d'informer le public sur les tenants et les aboutissants du système monétariste, de mettre en valeur les arguments et les critiques d'une controverse utile, enfin d'ouvrir une perspective permettant à une action politique décisive de mettre un terme définitif à la crise systémique actuelle.

Dans ce but une évaluation de la rationalité de la doctrine monétariste sur le plan théorique, pratique et méthodologique doit être menée. Elle permettra de mettre en évidence les erreurs, les paradoxes et les contradictions internes et externe du discours qui invalident les postulats sur lesquels il repose.

Les postulats monétaristes

Cette idéologie émerge dans un contexte particulier. La crise de 1929 et les désastres du chômage, de la récession et de la guerre mondiale qui ont suivi à fait rejeter par l'opinion publique la doctrine libérale comme une redoutable hérésie fauteuse de troubles graves. Celui qui deviendra le « porte-drapeau » du monétarisme s'appelle Milton Friedman, à l'époque un économiste marginal longtemps adepte de la politique macro-économique de J. Keynes.2 En quête d'une reconnaissance officielle, il se doit de formuler une théorie alternative, de trouver des soutiens et d'obtenir des subsides pour ses travaux. « En 1946, Friedman accepte un poste de professeur d'économie à l'université de Chicago, poste libéré à la suite du départ de Jacob Viner pour l'université Princeton. Friedman y restera finalement trente ans et y développa une école économique : l'École monétariste de Chicago.3 »

A vrai dire les thèses monétaristes « sont pour la plupart antérieures aux travaux de Friedman et ont été développés (à Chicago) par des économistes comme Henry Simons ou Llyods Mints qui avaient plaidé pour un contrôle du stock de monnaie afin de stabiliser le niveau des prix. Elles mettent l'accent sur le rôle de la monnaie en tant que facteur d'explication des théories économiques. La pensée monétariste se constitue autour de la reformulation de la théorie quantitative de la monnaie (on parle de néo-quantitativisme). »

Le premier succès des thèses de Friedman viendra par la voie d'un ouvrage de vulgarisation où les notions monétaristes sont associés à des préjugés populaires. Puisqu'il « devient connu du grand public avec son ouvrage publié en 1962, intitulé « Capitalisme et liberté », dans lequel il se livre à une défense du capitalisme, à une critique du New Deal et de l'État-providence qui émergeait. Bien qu'aucun des grands journaux américains n'en publient de critiques, le livre se diffuse progressivement et il s'en vendra plus de 400 000 exemplaires en dix-huit ans. Cela consacre l'engagement de Friedman comme intellectuel dans le débat public ».
Dans ce large pamphlet ou brûlot de combat l'auteur défend des propositions sans fondement telle que l'incapacité de l'autorité publique à initier et stimuler le progrès social : «Les grandes avancées de la civilisation, que ce soit dans l'architecture ou dans la peinture, la science ou la littérature, l'industrie ou l'agriculture, ne sont jamais nées de l'intervention d'un gouvernement centralisé. »4 Une affirmation étonnante contredite à la fois par la recherche et les faits puisqu'on observe au cours d'un long processus historique que l'institution publique se développe progressivement autour d'une mission générale de résolution des crises notamment avec la fonction systémique essentielle de contrôle et de régulation des flux. Cette idée de l'inutilité de l’État si elle était vérifiée rendrait les dispositions publiques d'ordre pratiques telles que la métrologie5 (standardisation des poids et mesures), les grands travaux publics ou l'éducation nationale comme des entreprises superflues et rétrogrades. Mais ce n'est pas le cas. « Milton Friedman défend ici davantage ses convictions philosophiques, politiques et économiques, qu'il y fait œuvre d'économiste »6 Le type d'arguments présentés conviennent peut-être a une société jeune et relativement peu évoluée où l'éducation, la raison, et l'héritage culturel des anciens tiennent moins de place que d'autres notions individualistes voir enfantines. Ce nihilisme alimente le mythe démagogique de la réussite individuelle, de la liberté sans responsabilité sociale. Il bénéficie de la défiance populiste envers une administration dont l'action régulatrice au service de l'intérêt général est désignée comme inutile et néfaste. Pour un texte qui va consacrer son auteur comme « intellectuel » dans le débat public, il faut avouer que cela paraît pour le moins insuffisant. En tout cas il y est fait « feu de tout bois » pour dégrader et dévaloriser dans l’opinion le principe et l'image du service public en général et en particulier de l'utilité de l’État providence comme régulateur des flux économiques. « L’école de Chicago admet que les marchés échouent parfois. Mais les administrations échouent aussi. Elle soutient qu’une défaillance de l’administration est presque toujours supérieure à une défaillance du marché. C’est pourquoi elle croit que l’administration devrait être considérablement limitée. »7 Par là est sous estimée la fonction première attribuée à l'autorité publique de résoudre les crises. Pour lutter contre la maladie, ce n'est plus seulement le thermomètre qu'il faut casser mais aussi l’hôpital et les médecins... La ruine de l'Etat-providence est programmée au fil de propositions visant à réduire ses moyens et domaines d'intervention (« starve the beast »8) et qui favorisent au contraire l'autonomie des agents financiers et industriels. Ainsi contrairement aux buts d'adaptation aux contraintes, d'organisation et de prospérité d'une cité, exigeants une hiérarchisation des missions d'ordre public, une coordination des moyens et ressources et une synergie des actions collectives ; la pensée monétariste issue de l’École de Chicago prône le reversement de ces notions de sens commun pour favoriser l'utopie d'une liberté sans entrave et le retour supposé salvateur, par la protection, le cloisonnement et la concurrence des droits patrimoniaux, à une nouvelle forme de féodalité.

Cet amateurisme et la faiblesse du niveau de culture générale, le défaut manifeste du sens de la mesure des propos, de justesse du raisonnement pour ne pas dire le biais idéologique et doctrinaire va se propager de couche en couche sur tous les travaux des monétaristes. Ainsi il reste difficile en l'état de tracer les contours de cette doctrine tant les postulats de base sont hétérogènes. Par exemple la méthode statistique utilisée reste empirique (ou plutôt pseudo-inductive) en raison de ce faible niveau de cohérence logique et de pertinence des auteurs. Toutefois si on part du préjugé contre l'Etat-providence, le discours économique des monétaristes devient compréhensible. L 'opinion selon laquelle l’État serait incapable par nature de fournir des réponses adaptatives fonctionnelles implique pour eux qu'une économie naturelle doit s'y substituer. Alors les « lois du marché » supposées autorégulatrices pourront fonctionner libres des entraves et injonctions régulatrices de l'autorité publique. Toute la rhétorique monétariste converge pour accréditer cette conception hypothétique.

Ce préjugé contre l'Etat interventionniste dans le domaine économique constitue donc le premier postulat monétariste. Pour cautionner cette opinion les économistes de l'école de Chicago s'appuient sur plusieurs thèses :

- théorie quantitative de la monnaie selon la formule MV=PT

Jean Bodin, un érudit français connu pour sa formule « il n'est de richesse que d'hommes » par ailleurs théoricien de la souveraineté nationale, étudie vers 1568 les effets inflationnistes de l'arrivée massive d'or en provenance d'Amérique latine. Cet afflux provoquant une hausse des prix en Espagne et sur le continent européen. Il déduit de ses observations une première formulation de la théorie quantitative de la monnaie spécifiant un rapport de causalité entre la quantité de monnaie en circulation et le niveau général des prix. Cette analyse sera ensuite reprise par d'autres auteurs.

Irving Fischer, un partisan de la prohibition et de l'eugénisme favorables selon lui à la productivité des travailleurs, abandonnera après 1929 la thèse du rééquilibrage automatique du marché au profit d'une théorie sur la spirale déflationniste justifiant l'intervention de l'État. « On lui doit aussi l'équation à partir de laquelle il établit une causalité entre les variations de la quantité de monnaie en circulation et les variations du niveau général des prix : MV = PT »

Soit : M x V = P x T
Avec :
M = stock de monnaie en circulation,
V = vitesse de circulation de la monnaie,
P = niveau des prix,
et T = volume des transactions sur la période.

On retrouve cette formule9 avec une légère variante : M x V = P x Q
Avec :
M = la quantité de monnaie en circulation dans une économie pendant une période donnée.

V = la vitesse de circulation de la monnaie (Nombre de transactions effectuées avec une unité monétaire durant la période étudiée).

P = le niveau général des prix.
Q = le niveau de production durant une période donnée.
P x Q représente donc la quantité d’argent échangée.

En s'appuyant sur l'équation de Irving Fischer, les monétaristes « reprennent à leur compte l'essentiel de cette pensée. »10 En omettant quand même au passage les analyses et conclusions de l'auteur sur le rôle anti-cyclique et régulateur de l’État qui dérangent manifestement leur démonstration théorique.

- Une demande stable de monnaie et une offre exogène contrôlée par la banque centrale

A partir de l'idée simple selon laquelle le volume de la masse monétaire influe sur le niveau des prix et donc l'inflation, les théoriciens du monétarisme se proposent de contrôler la croissance des prix et des salaires (donc l'inflation) par le contrôle de la masse monétaire et en particulier les taux d'intérêt de la Banque centrale. Ils se basent sur plusieurs hypothèses : la demande de monnaie est stable, l'offre de monnaie est exogène.

Pour l'école de Chicago , la demande de monnaie dépend de trois variables: le revenu permanent que l'individu estime correspondre à l'évolution moyenne de ses gains sur une longue période ; le rendement des actifs financiers, mesuré par les taux d'intérêt et le niveau général des prix.

Que la demande de monnaie est stable signifie d'une part que les agents économiques attendent un « revenu permanent » correspondant à l'évolution moyenne de leurs gains sur une longue période. D'autre part que si la valeur des transactions P.Q augmente, relativement à la quantité de monnaie disponible M, celle-ci doit "circuler" plus vite pour que les échanges puissent s'effectuer. Des conditions qu'il sera difficile de vérifier. D'autant plus que le niveau des taux d'intérêt peut fluctuer et que l'évolution des prix et des salaires échappe au contrôle de la banque centrale.

L'offre exogène de monnaie par la banque centrale signifie que l’inflation ne peut provenir que d’un excès de monnaie injectée par la banque centrale dans l’économie. On pense à la célèbre phrase de Friedman « l’inflation est partout et toujours un phénomène monétaire ».11

Or si la masse monétaire affecté à l'échange de la production n’est pas la cause de l’inflation, cette politique de ciblage de l'inflation ne pourra que créer une récession (et envoyer arbitrairement une partie de la population active au chômage) en privant l’économie de la monnaie nécessaire à son bon fonctionnement. Selon Friedman, « il faut absolument s'en tenir à une règle simple et connue de tous : la croissance de la masse monétaire répond uniquement à celle de la production, elle ne doit en aucun cas avoir pour objectif de modifier le niveau de l'activité. » On verra que cette assertion est trompeuse.

 - Le taux naturel de chômage

Le Taux de chômage naturel ou taux de chômage structurel est un concept économique créé par Milton Friedman et Edmund Phelps dans les années 1960. Les deux économistes se sont vu décerner le Prix Nobel d'économie en particulier pour ces travaux.

Les monétaristes prévoyants qu'une restriction de la masse monétaire privera automatiquement une partie des agents de moyens de paiement ont prévu une parade. Puisque M.V=P.T, si la masse monétaire M est stable et que la vitesse de rotation de la monnaie V est constante cela veut dire qu'à prix constants le volume de production est lui aussi constant, il n'y a pas de croissance économique. Mais par contre si les prix augmentent une partie de la production ne disposera plus de la monnaie nécessaire à l'échange. Il s'ensuit que pour assurer la stabilité des prix en limitant l’expansion de la masse monétaire ; des producteurs devront renoncer à leur part de gain monétaire, cesser leur activité, fermer leur industrie et licencier les travailleurs.

Pour justifier cette issue les partisans de la doctrine monétariste argumentent :

« Le taux de chômage naturel correspond au taux de chômage vers lequel l'économie tend sur le long terme. Selon les hypothèses du modèle, en absence de choc et de cycle économiques, les salaires tendent vers un niveau d'équilibre qui égalise offre et demande sur le marché du travail. Le chômage naturel découle alors, pour un niveau de compétence donné, du refus de travailleurs d'accepter un salaire jugé trop faible (concept de chômage volontaire et de salaire de réserve) et du coût excessif pour les firmes de proposer un salaire trop élevé. »12

Or nous savons que cette situation critique est conditionnée non par le défaut de qualification des travailleurs puisque les entreprises ont toujours la possibilité - selon leurs besoins et projets - de former leurs employés, ni par une exigence délirante des salaires mais par l'objectif anti-inflationniste. « La diminution de l’offre de monnaie par un partisan de la monnaie exogène casse la spirale inflationniste, parce qu’elle provoque une récession qui, du fait de la montée du chômage, modérera les prétentions salariales des salariés, et du fait de l’incapacité des entreprises à écouler leurs productions, diminuera leurs marges. Le prix à payer (récession, chômage) est fort pour réduire l’inflation. Comme on dit, on soigne la maladie en tuant le patient. »13

D'ailleurs cette théorie peu crédible du « chômage naturel » est complétée par le concept de NAIRU Non-Accelerating Inflation Rate of Unemployment ou Taux de chômage n'accélérant pas l'inflation. Il s'agit d'un « indicateur économique qui, estimé économétriquement pour un pays et à un instant donné, mesure approximativement le taux de chômage qui serait compatible avec un taux d'inflation stable. »14

- La nature patrimoniale de la monnaie : réserve de valeur et monnaie-crédit

Une monnaie se caractérise par la confiance qu’ont ses utilisateurs dans la persistance de sa valeur et de sa capacité à servir de moyen d'échange. Elle a donc des dimensions sociales, politiques, psychologiques, juridiques et économiques.

Cela entend que la monnaie n'aurait pas de valeur intrinsèque propre mais une valeur relative par un consensus social fondé sur la confiance mutuelle. Cette redéfinition implique que la possession privée elle-même évaluable et échangeable par la monnaie n'a rien d'une valeur absolue mais tout une valeur d'usage ou d'utilité sociale.16

Mais en droit anglo-saxon la doctrine de Locke fait de la sûreté des possessions un droit fondamental. Un droit conçu comme à l'origine de la constitution d'une société de propriétaires censée garantir et accroître les biens et le patrimoine de chacun d'eux. Cette philosophie non-dite sous tend la doctrine des économistes de Chicago.

Or dès l'application des thèses keynésiennes et en particulier depuis la fin du gold standard17 et de l'étalon-or US en 1971, le papier-monnaie cause des sueurs froides aux propriétaires de capitaux. Le cours de la monnaie déterminé par l'Etat en fonction de ses objectifs économiques peut se déprécier du jour au lendemain. « Dans un régime de change fixe, les autorités monétaires s'engagent à assurer la conversion de la monnaie à un taux de change défini. Elles disposent pour cela de réserves de change. Mais si ces réserves ne suffisent pas, le taux de change n'est plus tenable. Les autorités monétaires pratiquent alors des dévaluations à titre préventif, pour éviter de perdre toutes leurs réserves de change. »18

C'est pour éviter cette intervention désignée comme « redistributive » voir « socialiste » de l’État sur le cours de la monnaie (taux de change), le volume de la masse monétaire, les taux d'intérêt, la fixation des prix et des salaires, les dépenses publiques, etc. que les monétaristes projettent de contrôler l'émission de la monnaie publique avec un nouveau concept de monnaie-crédit et un nouveau système financier. La monnaie ainsi créée n'est plus garantie par une encaisse ou réserve de devises mais par des créances assorties d'un taux d'intérêt. La monnaie n'est plus émise par les institutions publiques selon les besoins économiques, les politiques de relance de l'activité ou les objectifs de croissance mais sera contrôlée par une banque centrale dite « indépendante ». Celle-ci fixe un taux d'escompte ou taux marginal19 aux banques d'affaires ou de dépôts émettrices de crédit. L’État lui-même pour ses dépenses ou pour obtenir une avance sur recettes fiscales devra se tourner vers le marché financier - supposé auto-régulateur - pour obtenir un crédit à taux variable en contrepartie d'une créance ou obligation à terme du Trésor.

Conséquences désastreuses d'une idéologie

 La conception idéologique ici à l’œuvre est celle garantissant la nature patrimoniale de la monnaie. La monnaie devient d'avantage un instrument d'acquisition du patrimoine (fonction de réserve de valeur) et de valorisation de celui-ci (en fonction d'un taux d'intérêt) au détriment de sa fonction d'échange des produits et de stimulation de l'activité économique dans le cadre d'une politique publique volontariste. C'est à ce niveau que ce nouveau système pose problèmes.

Cette monnaie n'existe que par la dette qu'elle crée et la réduction de cette dette ne peut se faire que par la réduction de la masse monétaire et donc la réduction des échanges, c'est à dire le ralentissement de la production et l'augmentation du chômage. Un phénomène accéléré par le mécanisme des taux d'intérêt assortis au crédit qui soustraient à chaque paiement la quantité de monnaie disponible pour les échanges. L'endettement public crée une charge annuelle d'intérêt insupportable à terme puisque cette « charge de la dette » soustrait une part de la masse monétaire en circulation dans le pays qui sera transférée dans des zones défiscalisées en renforçant le phénomène de récession.

Ce détournement de fonds d'une ampleur inconnue se double d'une seconde subversion. L’État se retrouve dépouillé de son rôle de régulateur et ne peut plus intervenir pour régler la question du chômage par une politique de relance qui pèserait dans ce système sur son équilibre budgétaire, ni agir par l'émission monétaire sur sa cause : la restriction de la masse monétaire en circulation.

Enfin cette nouvelle politique de monnaie-crédit oriente la masse monétaire non plus vers les activités productrices et l'investissement mais vers les placements financiers au regard de l’attractivité d'une rentabilité financière immédiate. Ainsi la monnaie disparaît du circuit production-échange pour s'enfoncer dans les trappes a liquidités que représentent par exemple les activités de spéculation sur les devises ou sur les créances des agents économiques. Ce phénomène est renforcé par la fin du contrôle des changes et la liberté de circulation des capitaux comme une exigence inconditionnelle des autorités internationales FMI et Banque mondiale. Mais qui peut ignorer la haute capacité de nuisance des placements financiers spéculatifs en particulier lorsqu'ils affectent le commerce des matières premières, de l'énergie provoquant ainsi une hausse des prix que n'explique plus la hausse des salaires ?

Pour résumer il s'avère que le logiciel monétariste impose un modèle économique où le niveau de la masse monétaire est non-optimum. Ce qui aboutit à l’asséchement des ressources financières des agents économiques - États, entreprises et ménages - c'est à dire une contrainte artificielle interdisant d'atteindre l'objectif de plein emploi permettant la création de plus-value et l'amélioration significative du niveau de vie et du bien être social.
« Prenons maintenant l’exemple célèbre de la désinflation Volcker. A la fin des années 70, le taux d’inflation aux Etats-Unis est de plus de 10%, ce qui est jugé beaucoup trop important par la plupart des dirigeants politiques et des spécialistes de la question. Paul Volcker est alors nommé président de la FED, avec comme objectif principal la lutte contre l’inflation. Monétariste, il pense que la trop forte croissance de la masse monétaire est la principale cause de l’inflation et qu’il faut donc la ralentir, en menant une politique monétaire restrictive (via une augmentation des taux d’intérêt directeurs). Résultat : l’inflation est ramenée de 11% en 1979 à moins de 4% en 1982. Mais, le taux de croissance de l’économie est passé dans le même temps de 2,5% à -2,2% et le taux de chômage de 5,8 à presque 10%. Commence pour l’Europe et les Etats-Unis le début de ce qu’on a appelé les 30 piteuses, par opposition aux 30 glorieuses.»15

Il devient évident que l'incohérence logique et pratique des postulats monétaristes aboutissent a une impasse. Ils ont pourtant été validés et continuent d'être appliqués par des autorités dont la capacité d'expertise, le sens de la responsabilité et l'intégrité ne peuvent être que remises en cause.

Dans ce contexte on comprend alors que les discours inquiétants sur le niveau de la dette ne sont pas cohérents. En considérant naïvement comme le fait Mme C. Lagarde ce « mur de la dette » comme : "la plus grande menace pour l'économie du pays"20 le FMI place l'objectif de réduction de la dette publique comme priorité. Non seulement ce point de vue est partiel puisqu'il faudrait aussi parler de l'endettement des ménages et des entreprises, mais aussi partial puisqu'il ne met pas en question l'origine et la nature de cette « dette » intrinsèquement liées à la doctrine monétariste ; à son pouvoir de manipulation des esprits et de déstabilisation globale des systèmes économiques adoptant les règles de l'ultra-libéralisme.

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1 « S'il se révèle qu'une généralisation est abusive, qu'une idée fausse conduise à une impasse. N'est-il pas honnête de le reconnaître, n'est-il pas utile de faire son autocritique et redoubler de vigilance et d'esprit d'examen ? La critique est aisée, l'autocritique est difficile. Reconnaître une erreur est une épreuve difficile pour le commun des mortels, c'est perdre la face ou faire l'aveu de faiblesse ce qui est mystérieusement insupportable pour la majorité d'entre nous. Et combien d'avantage encore devront supporter les conséquences des erreurs d'autrui jamais reconnues et laissées en état de nuire encore et toujours ? Beaucoup d'erreurs et de situations d'impasse sont causés par ces généralisations ou ces postulats hâtifs ou mal-dégrossis. Mais que dire de ces idées ou postulats « non-dits » quelque fois volontairement passés sous silence - lorsque la politique devient art de dissimulation - afin de dégager un faux-consensus ? Ces axiomes « non-dits » conditionnent aussi bien, sinon mieux, la manière de gérer une situation que ceux qui sont explicités. Il devient à ce stade extrêmement périlleux de traiter un problème. La seule solution est de l'aborder directement, de chasser le non-dit par un dialogue ouvert, poser directement la question du « comment progresser » dans tel ou tel domaine, établir un plan d'action et finalement trouver une définition claire du problème à résoudre. » Comment juger de la valeur d'une politique? http://fr.scribd.com/doc/83324517/Comment-juger-de-la-valeur-d-une-politique

2 « En 1935, ne trouvant pas d'emploi dans une université, Friedman se rend à Washington où les programmes lancés par Roosevelt offrent un débouché pour les économistes. Il écrit qu'alors il jugeait les programmes de créations d'emplois publics adaptés pour une situation critique, mais pas les systèmes de fixation des prix et des salaires. Il étudie plus particulièrement la répartition des revenus et dans un article alors controversé, il explique les hauts salaires des médecins par les barrières à l'entrée maintenues par le syndicat national des médecins. […] De 1941 à 1943 il travaille comme conseiller auprès du Département du Trésor des États-Unis sur la question des taxes pour financer l'effort de guerre. Porte-parole du Trésor, il défend alors une politique keynésienne. Dans son autobiographie, il constate « à quel point [il] était alors keynésien »» http://fr.wikipedia.org/wiki/Milton_Friedman

3 Avec d'autres auteurs tels George Stigler (« Nobel » 1982),Ronald Coase (« Nobel » 1991), Gary Becker (« Nobel » 1992), Robert E. Lucas (« Nobel » 1995).

4 « The great advances of civilization, whether in architecture or painting, in science or in literature, in industry or agriculture, have never come from centralized government. » Capitalism and Freedom (1962), Milton Friedman, éd. University of Chicago Press, 2002, chap. introduction, p. 3

5 Métrologie http://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9trologie

6 http://fr.wikipedia.org/wiki/Capitalisme_et_libert%C3%A9

7 http://www.contrepoints.org/2012/07/31/92045-milton-friedman-et-lecole-de-chicago-sur-le-role-de-letat

8 « Starve the beast » est l'expression d'une « théorie conservatrice américaine visant à créer volontairement un déficit public, au moyen d'allègements fiscaux et de politiques de réductions d'impôts, afin de forcer ensuite l'État à faire des coupes budgétaires, réduire ses engagements dans certains secteurs tels que l'assurance-santé, la sécurité sociale ou l'éducation. » Starve the beast http://fr.wikipedia.org/wiki/Starve_the_beast En France l'expression « dégraisser le mamouth » sera aussi employée avec un succès mitigé.

9 « Les classiques (John Hicks en particulier) ont formalisé la théorie quantitative à partir d'une équation de conservation de la quantité de monnaie échangée dans l'ensemble des transactions :

M * V = P * Y où Y est la production d'une économie pendant une période donnée (la production vendue), P est le niveau des prix (les prix réels d'échange ex post), donc P * Y représente la quantité d'argent échangée.
M est la quantité de monnaie en circulation dans une économie pendant cette même période. V est la vitesse de circulation de la monnaie, c'est-à-dire le nombre de fois qu'une même unité de monnaie permet de régler des transactions pendant la période considérée. »

10 Théorie quantitative de la monnaie http://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_quantitative_de_la_monnaie

11 Monnaie endogène, monnaie exogène, qu'est-ce que ça change ? 24 novembre 2010
http://des-economistes-et-des-hommes.over-blog.com/article-2-2-monnaie-endogene-monnaie-exogene-qu-est-ce-que-a-change-61635549.html  (« Une fois de plus, le raisonnement macro est radicalement différent du raisonnement micro. De ce fait, s’il doit anticiper l’avenir et obtenir l’avance monétaire nécessaire, l’État n’accumule pas de dette, au sens où cela se produit effectivement aujourd’hui à l’égard des marchés financiers. Car, ce qui fait la différence entre la banque centrale et la banque ordinaire, c’est que la première n’a de contrainte ni de refinancement, ni de recapitalisation (contrairement à tout ce qui se raconte en ce moment). Par voie de conséquence, si la collectivité retrouve la maîtrise de la banque centrale, l’État ne « rembourse » pas le crédit qu’il a obtenu de la banque centrale. Cette avance est (ré)compensée par la nouvelle activité engendrée. La (ré)compems(e)ation vaut ici remboursement. » « Un bon Etat doit être en déficit suite » J-M Harribey (2012) http://alternatives-economiques.fr/blogs/harribey/2012/09/28/le-bon-etat-doit-etre-en-deficit-suite/)

12 Taux de chômage naturel http://www.wikiberal.org/wiki/Taux_de_ch%C3%B4mage_naturel

13 La désinflation Volcker http://des-economistes-et-des-hommes.over-blog.com/article-2-3-la-desinflation-volcker-61765648.html

14 http://fr.wikipedia.org/wiki/NAIRU

15 La désinflation Volcker http://des-economistes-et-des-hommes.over-blog.com/article-2-3-la-desinflation-volcker-61765648.html

16 Voir vidéo : « La monnaie du pouvoir d'achat au pouvoir être » Philippe Derudder http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=h56uZ8oT4sQ#!

17 « Les partisans de l'étalon-or affirment que ce système permet de mieux résister à l'expansion du crédit et de la dette. Au contraire d'une monnaie fiduciaire, une monnaie à contrepartie en or ne peut pas être émise arbitrairement par un État. Cette contrainte empêche l'inflation par dévaluation et lève en théorie toute incertitude sur la pérennité de la monnaie, ce qui permet à l'autorité monétaire d'avoir un crédit sain, et de prêter plus facilement. Toutefois, il existe de nombreux exemples de pays sous étalon-or qui ont connu des crises de surendettement ou des dépressions. Le système d'étalon-or n'est plus actuellement utilisé dans aucun pays, et a fait place au cours forcé du papier-monnaie. » http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89talon-or

18 Dévaluation http://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9valuations

19 http://fr.wikipedia.org/wiki/Taux_d%27escompte

20 Quand la directrice du FMI donne des leçons de rigueur aux Etats-Unis
http://www.latribune.fr/actualites/economie/international/20121209trib000736047/quand-la-directrice-du-fmi-donne-des-lecons-de-rigueur-aux-etats-unis.html

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