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14 avril 2012

Le référendum révocatoire : une fausse bonne solution ?

Je viens de parcourir une interview de J-L. Mélenchon à Ouest-France (1) et sa réponse à la question des journalistes Laurent MARCHAND et Michel URVOY me laisse perplexe.
A la question "- Qu’est-ce que vous mettez sous le terme de VIe République ? " Il répond : "-Nous convoquerons une assemblée constituante. J’ai décrit des droits nouveaux que la nouvelle Constitution devrait à tout coup contenir : le droit de revenir sur une élection avec le référendum révocatoire..."
Ce terme de "référendum révocatoire" m'a surpris. Il appartenait au lexique de LCR à l'époque Besancenot qui l'agitait à chaque occasion dans ses meetings. Une tribune sur Agoravox de juillet 2009 y fait directement allusion (2). J'y ai répondu par quelques commentaires et précisions que je tiens ici a reproduire.

L'argumentaire boiteux d'un partisan de la révocation
Un partisan du referendum révocatoire intervient pour commenter l'article d'Agoravox. Il déclare : "Les notions de Bien Commun, ou d’Intérêt Général pourraient susciter un débat à elles seules. Peut-être faudrait-il parler de l’Intérêt de Tous. Car, parfois, vouloir le bien pour tous n’aboutit qu’au mécontentement de chacun... ’’Il est préférable d’adopter un projet « imparfait » mais auquel tout le monde adhère plutôt qu’un projet « parfait » qui suscite des oppositions vives de la part de certains.’’
Voici à peu près ma réponse : La citation que vous avez choisi : ’’Il est préférable d’adopter un projet « imparfait » mais auquel tout le monde adhère plutôt qu’un projet « parfait » qui suscite des oppositions vives de la part de certains.’’ souligne la différence entre un monde idéal voir imaginaire et la realité. Cela pose une contradiction et provoque en réalité des effets négatifs
Pour vous il est legitime de révoquer quasi-automatiquement un élu sous le prétexte qu’il se doit de "représenter tout le peuple". Mais vous n’êtes pas sans ignorer que le principe de la représentation est une fiction juridique et qu’il serait abusif d’exiger d’une personne de porter l’exigence politique de tous et de chacun des électeurs. L’élu est un etre humain et porte en lui ses propres limites, ses convictions, ses certitudes, des aspirations et des ambitions qui lui sont propres, personnelles. Vouloir le jour de sa prise de fonction qu’il se transforme en un etre multiple, une synthèse parfaite des opinions et des orientations de ses électeurs serait schizophrénique... Dans la réalité l’élu est déjà un personnage complexe tiraillé entre les mots d’ordre de son parti, son idéal politique, son environnement familial et social et les émotions succitées par les rencontres humaines dans telle ou telle circonstance. Que peut-on lui demander de plus ? D’etre l'archetype de la vertu politique, le ministre d’un saint sacerdoce ? Il ne faudrait pas surestimer la nature humaine.
Je prefererai que l’on se satisfasse de choisir comme représentant ou plutot comme mandataire un honnete homme, mesuré et conciliant comme on en trouve partout plutot qu’un etre sur-humain impossible a dénicher. D’ailleurs pour représenter un ensemble de citoyens il n’est pas necessaire de chercher une perle rare qui soit le meilleur d’entre eux puisque celui-ci ne leur ressemblerait pas et se placerait plutot comme une exception nullement représentative de l’électeur ordinaire.
Ensuite vous dites que l’elu n’a pas besoin d’étre protégé. Pour moi il a besoin de cette protection ne serait-ce pour ne pas etre attaqué impunément par ses ennemis et ce d’autant plus qu’il est honnete et vertueux puisqu’il faut supposer que tout peut être tenté pour le décourager dans sa mission de servir loyalement les citoyens, pour le corrompre pour le compte d’intérêts contraires a celui du bien commun ou le faire tomber dans une machination.
En tout cas ses ennemis ne doivent pas pouvoir l’atteindre dans son intégrité en usant contre lui l’argument d’opinions ou de votes emis par lui dans une assemblée ou une commission, etc. C’est l’objet de l’article 26 de la Constitution qui dispose « qu’aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ». Cette disposition me semble parfaitement justifiée.
Ensuite partant de l’idée que la représentation n’est pas un droit absolu et définitif. Toutes les décisions du représentant doivent pouvoir être contrôlées et corrigées par le mandant, c’est a dire le peuple qui doit rester souverain, qui doit garder la liberté, en dernier recours, de ratifier ou non les dispositions prises par son représentant. C’est la tout l’intérêt de la ratification par le peuple du texte légal, des dispositions négociées en son nom et idéalement dans l’intérêt de tous.
Et c’est là que vous confondez dans votre défense de la révocation entre l’acte legislatif débatu et voté par le représentant et le représentant lui-même. "Si donc l’élu ne fait pas ce que le peuple veut, ce dernier doit pouvoir, à tout moment, le déposer."
Vous vous trompez de cible : ce qui est ici en cause n’est pas la personne du représentant mais la loi ou disposition légale qui fera force de loi. Au lieu de remettre en cause le texte, l’objet qui fait litige vous vous en prenez à la personne elle-même.
Mais apres avoir "révoqué" cette personne pour des motifs secondaires, discutables voir confus et apres une dispute impossible à trancher sans préjugés et parti pris que faites vous du texte légal ou du traité à l’élaboration duquel elle a pris part ? L
e laissez-vous tel quel en place ?
Vous ne laissez donc pas la liberté au peuple souverain de le rejetter si il ne lui convient pas ou de le ratifier et le laisser prendre ses pleins effets légaux dans le cas contraire ?
Tout votre raisonement est boiteux et c’est en claudiquant ainsi que vous démontrez que toute la question vous dépasse. Ne voyez vous pas que les slogans que vous reprenez sans les comprendre sur la "révocation automatique" par exemple sont des idées de songe-creux sans expérience ou de manipulateurs qui rêvent de mettre les defenseurs du principe démocratique du gouvernement du peuple par lui-même en situation d’echec ?
Mais si vous etes un defenseur de l’anarchie et du désordre public poursuivez donc dans cette voie, je suis sur que vous obtiendrez de la sorte quelques petits succes dont vous aurez, apres toutes vos peines et tous vos discours aussi inutiles que oiseux, quelque satisfaction.

La question de méthode
Oui je pense que notre modele démocratique doit évoluer pour qu’effectivement le pouvoir se mette au service de l’intérêt général. Mais sur la méthode je crois que la proposition de la révocation des élus est une fausse bonne solution.

Sans vouloir entrer dans les details et traiter du statut du Chef de l’Etat ou des ministres. Je dirai pour ce qui concerne les parlementaires que la révocation n’est pas une méthode viable :
1. parce que le statut de représentant élu doit être protecteur à minima.
C’est pour cela que les membres du pouvoir Legislatif jouissent d’une double immunité parlementaire :
- "L’irresponsabilité ou immunité absolue, soustrait les parlementaires à toute poursuite pour les actes liés à l’exercice de leur mandat. Elle est établie par la Constitution dont l’article 26, dans son premier alinéa, dispose « qu’aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions »."

- "L’inviolabilité rappelle le sacrosanctus des sénateurs romains intouchables sous peine de mort, celui qui osait porter la main sur un tribun de la plèbe était déclaré sacer et voué aux dieux infernaux. Elle tend à éviter que l’exercice du mandat parlementaire ne soit entravé par certaines actions pénales visant des actes accomplis par les députés en tant que simples citoyens. Elle réglemente les conditions dans lesquelles s’exerce l’action pénale pour les actes étrangers à sa fonction.

Cette "inviolabilité" me parait superflue. Si l’immunité ne s’opposait pas aux poursuites judiciaires lorsqu’elles sont justifiées - au meme titre que les autres citoyens - cad que la police ne procede à une arrestation que sur ordre d’un procureur ayant obtenu un mandat d’un juge au vu des preuves d’une enquete réguliere ou sur flagrant délit.
Cela exclurait les interpellations gratuites sur le coup de menton d’un OPJ, les gardes à vue de 48 ou 72 heures et les mandats de dépot et la prison provisoire sans jugement préalable...
Donc ce serait mettre tous les citoyens au meme niveau et rehausserait d’un seul coup la qualité de la justice francaise.
Par contre en cas de fraude ou de corruption ET de condamnation, par les magistrats lors d’un procès en bonne et due forme, la sanction contre le représentant de l’autorité publique (relevant indifférament du pouvoir législatif, exécutif ou judiciaire) doit être aggravée. Tout comme les citoyens qui une fois condamnés ne peuvent plus occuper de fonction publique ; ces représentants doivent être démis et exclus de tous mandats publics. Seule une sanction exemplaire permettrait d’agir préventivement et curativement sur les abus, malversations et autres crimes publics de cette nature.

2. L’idée de révocation est démagogique dans le sens ou elle focalise le débat public (au meme titre que l’election présidentielle au suffrage universel) sur la personne plutot que sur les principes, le projet, les actes légaux, ou le bilan d’une action politique en elle-même.
Cela contribuerait à une confusion plus grande et une porte ouverte à tous les abus, a toutes les manipulations, a toutes les calomnies les plus détestables.
C’est peut-être cet effet de déstabilisation qui est recherché par toutes ces personnes qui réclament à cors et à cris "la révocation" : mettre partout la pagaille, empécher qu’une bonne initiative soit suivie en visant l’auteur, paralyser tout le fonctionnement de l’institution publique. C’est une idée d’anarchiste ou de comploteur.

L'enjeu réel
Or quel est l’enjeu véritablement de la souveraineté populaire ?
C’est l’expression et la formulation de l’intérêt général. L’expression par le débat utile, argumenté et constructif. La formulation par la loi. La mise en vigueur par la ratification et la publication. La mise en oeuvre par l'administration publique.

"Toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle ; ce n’est point une loi." dixit Rousseau.
La voila donc votre solution pour faire respecter la souveraineté du peuple. 

Les réformes qu'il faut exiger pour rétablir la démocratie sont celles qui permettent que le peuple :
1. dispose de droits reconnus et garantis, inscrits dans une charte des droits politiques tels le droit de constituer des assemblées délibérantes pour les affaires locales, le droit pour l'assemblée des citoyens de quitus ou de rejet des comptes publics et ensuite le droit de pétition et d'initiative législative, etc. pour toute les assemblées où les décisions sont prises sans l'expression directe de sa volonté et de son consentement quand il n'est -pour des raisons d'ordre pratique - que "représenté" ; 
2. puisse dans l'exercice de ses droits politiques mettre en oeuvre une procédure d'initiative populaire et obtenir par pétition l'organisation d'un vote au parlement ou par référendum portant sur un projet de loi ; 
3. se prononce en dernier recours sur la ratification, le rejet ou l'abrogation de tout texte législatif, constitutionnel ou d'un traité.
La mesure complémentaire éprouvée par les citoyens helvétiques est que les textes de l’exécutif (décrets, ordonnances, etc) ne sont valables que pour une année seulement. Terme au-dela duquel ils perdent tout effet si une ordonnance legislative n’est pas intervenue pour les valider. Une ordonnance législative également susceptible d’être validée ou rejetée par réferendum sur l’initiative populaire.

Peut etre que la démocratie parfaite est un rêve, c’est un rêve qui stimule et nous fait progresser, qui nous empêche d’être prisonnier du découragement, d’une société cruelle et oppressive.
On nous dira peut-être "ne rêvez pas" mais à nous répondre "nous ne rêverons (peut être) plus lorsque cessera la trahison des apparatchiks, le détournement massif des biens publics, et l’usurpation du pouvoir démocratique"
Pourquoi aucun parti prétendument démocrate ne propose d’établir le vote par référendum des lois importantes ? Ce serait si facile pour eux d’en faire une proposition dans leur programme.
Ont-ils tous - malgré leur protestation formelle et déclaration d’intention - un intérêt inavouable dans le verrouillage du système politique ? Sont-ils tous complices d’un complot financier aristocratique ? Sont-ils tous parties prenantes d’un même projet anti-démocratique sous le paravent délicat et coquet du storytelling ?

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(1) Pour Mélenchon, il y a une « majorité antilibérale » Ouest-France 14 avril 2012 http://www.ouest-france.fr/actu/actuDet_-Pour-Melenchon-il-y-a-une-majorite-antiliberale-_39382-2066206_actu.Htm#.T4kSvmEQiyc.twitter
(2) Le peuple souverain, l’auto-gouvernance... Mengneau Michel
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/le-peuple-souverain-l-auto-58485#forum2161016

1 commentaire:

Joël Elisé a dit…

@jean-jacques rousseau
Au fil de mes recherches je découvre que votre réponse sur Agoravox a fait l'objet d'un article.

J'aurais préféré que vous citiez mon commentaire in extenso et non de façon tronquée comme vous le faites.

Mais je vais tenter de vous indiquer quelques clés de lecture.

Sur l'Anarchie

Tout d'abord, je le répète, brandir l'Anarchie comme un épouvantail ou comme l'expression du mépris que vous avez pour ceux qui la défende n’a rien de sérieux. C'est la preuve d'une méconnaissance de ce qu'est l'Anarchie, d'une confusion élémentaire entre les termes Anarchie et anomie.
L’Anarchie ce n’est ni le chaos, ni le désordre : « c'est l'ordre sans le pouvoir ». L’Anarchisme est un véritable courant de philosophie politique sur lequel beaucoup gagneraient à se pencher avec sérieux. Pour certains, c'est même « la plus haute expression de l’ordre ».

Sur la révocabilité

La révocabilité des magistratures est un principe fondamental de la démocratie athénienne.
C'est aussi un attribut du mandat impératif qu'il sous-tend en filigrane. Mon raisonnement peut sembler boiteux si cela n'est pas pris en compte.
Dès lors, l'article 26 et en particulier l'article 27 de la constitution de 1958 prennent un sens tout particulier : ils consacrent le caractère non démocratique de la république française.

D'ailleurs, Sieyès le clamait déjà dans son discours du 7 septembre 1789 : « La France ne doit pas être une démocratie, mais un régime représentatif. Le choix entre ces deux méthodes de faire la loi, n’est pas douteux parmi nous. D’abord, la très grande pluralité de nos concitoyens n’a ni assez d’instruction, ni assez de loisir, pour vouloir s’occuper directement des lois qui doivent gouverner la France ; ils doivent donc se borner à se nommer des représentants. [...] Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants »

Ainsi, dès 1789 s'opposaient déjà un système démocratique avec un mandat impératif révocable et un système oligarchique avec un mandat représentatif.

La confusion vient du sens que l'on donne aux termes. Le représentant, pour Sieyès ainsi que pour notre constitution, ne parle pas au nom du peuple parce qu'il porterait sa voix mais il parle à la place du peuple parce qu'il se substituerait à lui (art. 27). La confusion est renforcée par l'article 3 de la constitution qui proclame que la souveraineté appartient au peuple mais pour la remettre tout de suite entre les mains de ses représentants qui l'exercent.

Ainsi, considérant un système représentatif, la protection des représentants ainsi que leur irrévocabilité peut s'entendre.
Mais, dans un système démocratique, il en est autrement : les représentants sont contrôlés avant (docimasie, ostracisme), pendant (révocabilité) et après (reddition des comptes, graphê para nomon, eisangélie) leur mandat. De plus, un mandat court limite les dérives de l'action du mandataire.

Cette conception du mandat de l'élu n'exclut nullement le contrôle de la loi a posteriori. Mais celui-ci devient moins contraignant dans la mesure où le citoyen lui-même aura contribué à faire la loi.