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15 avril 2007

De la démagogie à la tyrannie : la doctrine Sarkozy (3)

Des projets décousus

Quand l'incompétence dispute avec la surdité, M. Sarkozy semble figurer ce type du dirigeant doctrinaire qui loin de rester à l'écoute des avis les plus lucides, prétend imposer une réponse absolue, ferme et définitive sur tous les sujets.

Nous nous limiterons à quelques points fondamentaux de la politique économique où la doctrine Sarkozy fait merveille : permettant l'ouverture d'une série de faux débats qui ne sont appuyés ni par la raison ni les fruits de l'expérience et conduit à appliquer de fausses solutions - a des problème réels ou supposés - dont les résultats ne font qu'aggraver une situation déjà délicate.

Qu'il soit question du déficit public, de la relance de la croissance économique et de la réduction du chômage toutes les mesures proposées dans le programme et les interventions de M. Sarkozy - et sur lesquelles s'attache l'imagination délirante du personnage - converge dans un sens contraire à ce qu'il faudrait faire pour assurer la prospérité de la France.


I. Le déficit public

On sait que la dette de l'Etat résulte du déséquilibre entre les recettes fiscales et les dépenses publiques. Chaque année depuis 1974 la France adopte une loi de finance déficitaire. Aujourd'hui le pays traîne une dette croissante de plus de 1200 milliards d'Euros (1) et le service de la dette, c'est à dire le paiement des intérêts aux préteurs représente une charge de plus de 40 milliards d'Euros par an, soit le deuxième poste de dépense. On s'imagine bien qu'il faudra tôt ou tard étudier les causes structurelles et conjoncturelles de la dette, réduire les dépenses et augmenter les recettes pour équilibrer le budget de la Nation.

Qu'a fait M. Sarkozy ? Que propose t-il ?
Tout le contraire.

C'est à partir de 1993, et surtout durant les années 1994 et 1995, alors qu'il était ministre du budget sous le gouvernement Balladur, que le déficit a bondi jusqu'à 6 %, au mieux 5,4 % du PIB. Il obtient ainsi le triste record du déficit budgétaire de la 5ieme République ce qui lui vaut bien le titre de "Mr Déficit". Selon les chiffres du ministère de l'économie la dette publique est passée de 375 milliards d'Euros en 1993 (45,3% du Pib) à 496 milliards d'Euros en 1995 (54,6% du Pib), soit 121 milliards d'Euro d'augmentation (une augmentation d'environ 1/3 de la dette française). (1)

En avril 2004 le même hurluberlu, alors ministre de l'Economie et des Finances, sort de son chapeau une solution miracle : Il faut vendre l'or de la Banque de France !
"Nicolas Sarkozy indiquait sur TF1 que cette vente "est une idée à creuser (...) à deux conditions". La première est d’obtenir l’accord du gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, et la seconde consiste à ne pas utiliser ces financements pour des dépenses de fonctionnement. Les réserves d’or pourraient alors servir, selon l’hôte de Bercy, à " réduire la dette " (2)
A la Banque de France, le stock d'or français de 487 tonnes en 1948 grimpera constamment pour culminer à 4.700 tonnes en 1975. Dès 1980, il est ramené à 3.200 tonnes et n'en bougera plus jusqu'en 2004.
Or des le 20 avril M. Strauss Kahn déclare dans une tribune du Figaro : "On nous présente cette affaire comme l’un des instruments majeurs au service de la politique économique du gouvernement, or elle se réduit à procurer à l’Etat 40 millions d’euros par an ! Est-ce avec cela que ce gouvernement compte compenser les 20 milliards d’euros que coûte la baisse de l’impôt sur le revenu. [...] Une telle opération ne changera rien à notre situation économique. Vendre 100 tonnes d’or, c’est mobiliser 1 milliard d’euros et dégager au maximum 40 millions d’euros de recettes supplémentaires, ce qui équivaut à 0,1 % de notre déficit budgétaire. Et même si ce milliard pouvait être sorti des comptes de la Banque de France au moyen d’une ruse un peu dérisoire, puis donné à l’Etat afin de contribuer à son désendettement, il ne comblerait là encore que 0,1 % d’une dette qui s’accroît actuellement de 2 % par an. Qu’on permette aux Français d’attendre du ministre des Finances des solutions qui résolvent plus de 0,1 % des problèmes qui sont devant nous." (4)

Nous n'entendons donc plus parler de vente du stock d'or de la Banque de France quand Hélène Mazier du journal La Tribune (articles depuis peu retirés de la publication sur le site de ce journal propriété du groupe LVMH ) nous apprend que 200 tonnes aurait été vendue depuis septembre 2004 au titre de l'accord CBGA II (2004-2009). Ces "ventes Sarkozy" porteraient en fait sur un total de 500 tonnes (100 tonnes/an) négociées en 2004 alors que le prix du métal précieux était de 400 $/l'once, qu'il vaut plus de 630 $/l'once aujourd'hui et que l'expertise financière de Merrill-Lynch a toujours estimé la progression de cette valeur qui devrait se fixer à long terme autour de 850 $/l'once. (5)
Emmanuel Gentilhomme s'interroge "A quoi rime tout cela ? Est-il possible de gérer plus mal le plus solide des actifs que puisse compter le patrimoine public ? Nous n'avons pas de réponse définitive à apporter à cette question. Mais nous vous invitons, chers lecteurs, à la poser à vos élus." (6)
S'agit-il dans ces ventes de suivre stupidement l'exemple de la Banque d'Angleterre qui disposait de 2.500 tonnes en 1960 et seulement de 312 tonnes en 2004 alors que le World Gold Council donne de nombreuses raisons pour les Etats de préserver une réserve d'or stratégique ? (7) A qui profite ces ventes ? S'agit-il de répondre à la demande de certains spéculateurs ou bien de ruiner définitivement la France ?

Sur le plan des recettes fiscales, les nouvelles déclarations de M. Sarkozy provoquent la même stupéfaction.
Apres avoir fait exploser la dette publique, fait disparaître une partie des réserves d'or de la France en tentant de réparer une première
erreur par une autre plus grossière encore ; Le personnage poursuivant ses lubies veut renoncer à stabiliser le déficit et repartir dans la course à la dette en supprimant des recettes budgétaires indispensables !

"Nicolas Sarkozy, qui promet 15 milliards d'euros de baisses d'impôts dès cet été, a souligné la semaine dernière qu'il ne s'interdirait pas de marquer une pause dans la réduction du déficit budgétaire." (8)

"Pourtant, c'est bien en France que l'impôt sur le revenu est parmi les plus faibles de tous les grands pays développés. Il est payé par un Français sur deux, seulement. Et les réformes menées ces dernières années ont progressivement ramené le taux marginal de 65% en 1981 à 40% cette année. Du coup, notre impôt est devenu très compétitif par rapport aux autres pays. Le taux moyen de l'impôt en France s'élève à... 8% ! L'étude, réalisée par le cabinet Landwell pour « le Nouvel Observateur » (voir page suivante), montre que l'IRPP est plus faible en France qu'en Allemagne ou en Belgique et même qu'en Grande-Bretagne, si souvent montrée en exemple." [...] "Une réduction de 4 points des prélèvements obligatoires, soit 68 milliards ! Un montant totalement fantaisiste. Ses conseillers ont donc réajusté le tir. Tout ne sera pas fait tout de suite. «Notre but est d'utiliser l'outil fiscal pour inciter au travail et à la production», insiste un de ses conseillers, le député UMP Gilles Carrez. La réforme du bouclier fiscal, qui plafonnerait à 50%, contre 60% actuellement, le total des impôts payés par un contribuable ? 0n ne sait plus si la CSG sera incluse ou non dans le bouclier. La déduction des intérêts d'emprunts immobiliers ou des dépenses de services à la personne ? En fait elle sera plafonnée. Mais à quel taux ? Il n'est pas fixé. La suppression des droits de succession pour l'essentiel des contribuables ? Elle sera plus limitée." (9)

Dans la dernière version du programme électoral : "Le candidat UMP ne reprend pas sa proposition de baisser de 4 points les prélèvements obligatoires. Il affirme par contre qu'il "n' [augmentera] pas les impôts mais au contraire [fera] tout pour les baisser".
Il ne cite pas non plus l'abaissement du bouclier fiscal de 60 % à 50 % du revenu, dont il avait fait son cheval de bataille lors de son
discours d'investiture. L'idée d'une franchise non remboursée pour les dépenses de santé a également été abandonnée. Mais dans le programme figure la
suppression des droits de succession, "à l'exception des plus riches". Jeudi matin, Xavier Bertrand a pourtant affirmé que "tous les points qui ont été évoqués à un
moment ou à un autre sous forme d'interview ou dans des discours restent bien au cœur du projet de Nicolas Sarkozy", même s'ils ne figurent pas dans le fascicule. Le bouclier fiscal "figure toujours, effectivement, dans nos intentions", de même que la franchise pour les dépenses de santé, a cependant assuré Xavier Bertrand." (11)
Ces propositions restant dans l'ensemble incertaines et contradictoires, nous restons donc dans le brouillard et rien de concluant sur le sujet de la réduction du déficit public n'est dit. Il faut simplement et sérieusement envisager le pire.
Promettre des baisses d’impôts alors que la croissance patine et que le poids de la dette s’alourdit de jour en jour n’est pas sérieux. C’est un pari démagogique et irresponsable...

Sera-il un jour possible d'évoquer les causes structurelles de la dette ? Puisqu'il faudra bien voir un jour que les réductions d'impôts et la politique monétariste (qui oblige l'Etat à emprunter à plus de 3% d'intérêt la masse monétaire correspondant au surplus annuel de la production soit plus de 40 milliards d'euro en 2006) jouent un rôle essentiel.

C'est ce soucis d'analyse réaliste qui fait dire : "Toutefois, si l'on agrège les créances et les dettes des ménages français, il ressort que les intérêts de la dette publique sont des revenus pour les Français payés par l'impôt des Français. Ce constat doit-il nous rassurer ? Eh bien non, car, explique l’économiste Jean-Marie Harribey, il traduit un effet de fiscalité redistributive à l’envers, puisque ce sont les classes aisées qui achètent des obligations d’Etat, alors que la structure de la fiscalité est telle que ce sont les classes pauvres qui paient l’impôt dans une proportion inverse à ce que commanderait la justice – l’impôt indirect non progressif étant prédominant par rapport à l’impôt direct progressif." (10)


II. La croissance et l'emploi


On ne sait même plus quelle optique la doctrine Sarkozy adopte pour parler de croissance économique. Est-ce une énième version de la théorie de l'offre qui nous fait croire que l'activité de production économique elle-même suffit pour entraîner la consommation et l'emploi ou est-ce le niveau élevé du pouvoir d'achat qui permettrait d'entraîner la machine économique ?

On peut parier que les concepteurs du discours eux-mêmes ne sauraient le dire ou même plus grave - mais plus vraisemblable - qu'ils ne savent pas au juste de quoi ils parlent...
Qu'a cela ne tienne ! Il faut des formules magiques, des déclarations péremptoires pour frapper l'imagination de la foule et donner l'illusion temporaire que l'on maîtrise le sujet... au moins jusqu'aux élections !

Tout le monde a entendue cette formule du "travailler plus pour gagner plus". Mais que signifie t-elle exactement ? Est-ce l'expression d'une idée frappée au coin du bon sens ou une erreur dogmatique de plus, un autre simplisme qui se comprendrait mieux si on demandait aux employés de "travailler plus" pour permettre aux employeurs de "gagner plus", ou encore l'hypothèse qui fait de la France un pays peuplé par des Shadocks qui ne demanderaient que de pomper d'avantage pour n'aller nulle part ?...

Voici quelques extraits de propagande : « La meilleure manière de protéger le travail, c'est de le réhabiliter en permettant à ceux qui travaillent davantage de gagner davantage. Il ne faut pas avoir honte de vouloir une vie plus facile pour sa famille, une meilleure école pour ses enfants, un appartement plus grand pour être heureux. Je propose d'exonérer de charges sociales les heures supplémentaires et le rachat de jours ARTT. Cela renforcera le pouvoir d'achat des salariés et la compétitivité de nos entreprises. De même, si les fonctionnaires veulent travailler plus, il faut leur en donner le droit. » (12)

"Il faut poser la question de l’augmentation des salaires dans notre pays parce que toute ma stratégie économique est fondée là dessus. Le premier problème économique des Français, c’est une question de pouvoir d’achat, il faut donner du pouvoir d’achat aux Français, pour donner de la croissance et pour cela il faut permettre aux gens de travailler plus. Il faut savoir qu’un salarié qui travaillerait quatre heures de plus pourrait gagner 15 % de plus. L’erreur des 35 heures a été une erreur considérable qui a conduit les Français à une rigueur salariale qui a pesé sur la croissance de la France." (13)

Faut-il vraiment ignorer la situation et les mécanismes de l'économie pour émettre de pareilles absurdités ? Oui, il serait beau de travailler plus pour produire d'avantage de richesses, d'avantage de bien-être et permettre d'entretenir un fonctionnement régulier du système économique.
Mais pourquoi aurait-il fallu attendre M. Sarkozy dont l'incompétence en matière d'économie politique est démontrée au niveau des finances publiques pour mettre en oeuvre cette idée ?

1. Il existe en droit du travail et dans le contrat entre l'employé à l'employeur un lien de subordination qui oblige l'un d'être à la disposition de l'autre en contrepartie du paiement des heures travaillées. Ce n'est pas à l'employé de décider de travailler plus, mais à l'employeur de le requérir.

2. Or le travail a un prix qui ne doit pas dépasser un certain coût de revient. Si les prix sont trop bas, si les commandes ne suivent pas la capacité de production, si les stocks s'accumulent, si les débouchés manquent : il est tout a fait ridicule de par un caprice de la volonté de demander un sursaut d'effort aux travailleurs et même de leur promettre un gain supplémentaire si la production ne peut être vendue et écoulée.
Il ne faut pas mettre la charrue avant les boeufs, ce n'est pas le travail qui crée la demande de produit, mais la demande de produit, la commande ferme qui provoque le lancement de la production, le démarrage de l'activité productive.

3. Donc le "droit de travailler plus" n'existe pas et n'existera jamais. Tout au plus pourrait-il exister "le droit de faire travailler plus" auquel l'employé n'aurait pas la liberté de se soustraire. C'est une situation qui existait avant le Front populaire et Léon Blum, au cours du 19eme siècle et même pour les serfs du moyen age... Nous serions curieux de savoir si le propagandiste souhaiterait retourner dans ses conditions ; au moins a-t-il jamais travaillé pendant 8 heures de rang à l'usine ou sur un chantier ? Certainement pas... Et heureusement qu'il existe des syndicats pour protéger les droits de cet individu si il devait un jour prochain travailler sous les ordres d'un patron abusif.

4. Ce discours nous fait croire que les français ne travaillent "pas assez". Or un bref coup d'oeil sur les statistiques permet de nous convaincre que le problème n'est pas là : La France travaille plus que la moyenne européenne. (14) Toutes branches et tous emplois confondus la durée effective moyenne de travail est de 38 heures par semaine en France. 30 heures pour les Pays-bas, 35,6 pour l'Allemagne, 36,9 pour le Royaume-Uni, 37,9 pour UE a 27, etc. Effectivement dans les pays méditerranéens et les pays de l'Est on travaille plus longtemps... mais produit-on d'avantage ?

5. La productivité horaire en France est la plus élevée au monde derrière le Luxembourg. Conséquence directe, en travaillant 35 h en France, le travailleur produit beaucoup plus que beaucoup de chez nos voisins. (5ieme rang mondial derrière le Luxembourg, les Etats unis, l’Irlande et la Belgique).

6. On touche a partir de ces simples constatations ce moment où la l'approche objective et l'étude rationnelle des faits s'efface devant un discours idéologique tonitruant qui voit des problèmes où ils ne sont pas et les vrais problèmes restent où ils sont...
"Cela fait partie du discours ambiant : les Français travailleraient trop peu, notamment à cause des 35 heures. Ce qui expliquerait la faiblesse de leur pouvoir d’achat, la perte de compétitivité du pays et les dérives d’une protection sociale trop sollicitée, faute de revenus d’activité suffisants. Mais quand on examine la situation française de plus près, les évidences deviennent moins évidentes... Et d’ailleurs, que veut dire exactement « travailler trop peu » ? S’agit-il d’un nombre d’heures travaillées jugé trop faible ou du nombre de personnes au travail ? Cela n’a pas les mêmes conséquences sur les politiques publiques à mettre en oeuvre." (15)

7. En quinze ans, de 1990 à 2005, la France a créé davantage d’emplois (2 520 000 : +11,25%) que l’Angleterre (1 520 000 : +5,82%). Le modèle libéral britannique n’est donc pas supérieur au modèle social français.
"Du fait des embauches qui l’ont accompagnée (350 000 au total en quatre ans, de début 1998 à fin 2001, selon l’Insee et la Dares du ministère de l’Emploi), la réduction du temps de travail a accentué la tendance à l’augmentation du volume total d’heures travaillées dans les entreprises (+ 6,8 %) observée durant cette période. Et sur un plan macroéconomique, c’est bien ce volume total qui compte et non le volume de travail individuel de chacun de ceux qui ont un emploi. Au contraire, depuis 2002, ce même volume est en légère baisse, de l’ordre de 1 % à 1,5 %. L’augmentation du nombre d’emplois entre 1997 et 2001 a donc plus que compensé l’effet de la réduction du temps de travail. En revanche, les 35 heures ont incontestablement freiné la croissance des rémunérations… pour ceux qui étaient déjà en emploi." (15) A cela il faut ajouter que ce frein de la croissance des rémunérations est globalement et largement compensé par les rémunérations supplémentaires de ceux qui ont pu retrouver un emploi.

8. "Faut-il travailler davantage ? Il vaudrait mieux en effet être plus nombreux en emploi. Cela augmenterait l’autonomie des personnes et le revenu des ménages concernés, même si la qualité des emplois en question mérite aussi d’entrer en considération, compte tenu des problèmes que posent le développement des emplois précaires et le phénomène des travailleurs pauvres (working poors). En outre, pour les jeunes, dès lors que l’emploi est lié à la formation, cela améliore la qualité de leur insertion professionnelle.
Travailler jusqu’à un âge plus élevé sera sans doute aussi nécessaire du fait du retournement démographique, mais cela devrait se faire moins par le recul de l’âge légal de départ en retraite que par la diminution des sorties précoces. Quant aux heures annuelles travaillées, la priorité devrait être à la réduction du nombre de chômeurs et de salariés à temps partiel subi. Certes, rien ne dit que la productivité de ces travailleurs serait au niveau de ceux qui sont aujourd’hui en emploi à temps plein. Il n’empêche : s’il faut travailler plus, mieux vaudrait explorer ces pistes avant de remettre en cause des symboles sociaux comme les 35 heures et la retraite à 60 ans. Elles sont moins porteuses d’inégalités et de conflits." (15)

9. "Incontestablement, tout ce qui favorise la flexibilité est un « plus » pour les entreprises. Mais penser que cela permettra de régler la question du chômage, c’est se leurrer quelque peu : le nombre d’emplois créés dépend en premier lieu de l’évolution du pouvoir d’achat, de l’effort d’investissement et d’innovation, etc. En outre, la flexibilité est source d’inquiétude pour les salariés, qui craignent d’être renvoyés à tout moment. Ils n’accepteront donc de jouer le jeu – comme c’est le cas au Danemark ou en Suède, par exemple – que si des garanties leur sont données sur leur retour à l’emploi, la continuité de leurs revenus, la formation, le développement local, etc. Toutes choses qui impliquent des politiques publiques fortes et des accords entre partenaires sociaux."(15)

10. "La défiscalisation des heures supplémentaires aurait mécaniquement un effet négatif sur l'emploi : plus d'heures supplémentaires, c’est évidemment moins d'embauches. Mais cette mesure aurait également un effet de « distorsion » qui polluerait les choix des entreprises. Au lieu de choisir entre heures supplémentaires et embauches en fonction de critères économiques (et donc de faire un choix qui crée de la valeur économique), les entreprises feraient leur arbitrages sur des considérations fiscales en raisonnant en termes de baisses d'impôts et non de création de valeur. Au final, on aurait ainsi moins d'emplois et plus d'heures supplémentaires, y compris dans des cas où les entreprises préféreraient recruter. Certes, en baissant les impôts, on crée un peu d'activité, mais il est évident, pour des raisons déjà évoquées à propos des emplois Bayrou, qu'on créera moins d'emplois que si on avait alloué les mêmes sommes aux exonérations sur les bas salaires ou pour accompagner la recherche active d'emploi. Autrement dit, si Nicolas Sarkozy veut vraiment créer le plus d'emplois possibles, il se trompe de voie. Cette mesure est un exemple parfait de mauvais dispositif économique, et il ne faut pas se laisser égarer ici par les modèles de Rexecode, qui sont calés sur des paramètres selon lesquels toute baisse d'impôt crée des emplois et n’interrogent pas les différents usages possibles de ces baisses d'impôts. Le principal avantage de cette proposition n’est pas économique, mais politique, avec un côté très consensuel : c’est un cadeau fiscal aux salariés et aux entreprises. Cela peut plaire aux électeurs, mais il est difficile d'y voir une volonté de réforme économique." (16)

11. Au sujet de la compétitivité économique : "N. Sarkozy semble prendre les réformes menées en Allemagne comme modèle. Ainsi, à propos du plafonnement du niveau d’imposition, qui existe déjà en Allemagne depuis plusieurs années, il nous dit : « Comment imaginer que la France puisse s'exonérer d'une règle qui concerne 82 millions d'Allemands ? » L’argumentation est brillante : les Allemands sont plus nombreux que nous, ils ont donc toujours raison par rapport à nous ; imitons-les donc… Faisons également en sorte que le coût du travail n’augmente pas, tout comme eux, et, finalement, la « compétitivité » nationale sera restaurée !
Tout le monde sait pourtant que la France n’a pas intérêt à rentrer dans la compétition fiscale et salariale dans la zone euro. La conséquence logique de ce type de compétition est, en effet, ce que l’on appelle le « moins-disant fiscal », qui implique le « moins-disant social » (les économistes parlent de « course vers l’abîme », « race to the bottom » en anglais) : d’une part car les baisses d’impôts réduisent les marges de manœuvre budgétaire, d’autre part car la modération salariale limite le pouvoir d’achat. Or, les débouchés de la production nationale sont encore à 75% nationaux en France, compte tenu du taux d’ouverture qui est de 25%. On voit donc clairement toute l’absurdité de vouloir restaurer la compétitivité au détriment du pouvoir d’achat national : cela revient à encourager les exportations, au détriment de la consommation nationale, pourtant largement majoritaire. Ce type de politique n’a un sens que dans les petits pays de la zone : ils sont, en règle générale, beaucoup plus ouverts et les exportations sont souvent leur débouché majeur." (17)

12. M. Devedjian reconnaissait en public dans une émission télévisée (18) que son gouvernement avait échoué en matière d'emploi et préconisait a titre personnelle la nécessité d'une politique de ré-industrialisation. Or la concurrence des produits d'importation à bas coûts ruine toute velléité de relance économique nationale et ceci fait partie des vrais problèmes occultés par les slogans de l'idéologie libérale.
Il est certainement plus facile en parlant du chômage de dévier le sujet et reprendre ces recettes éculées de la Banque mondiale que l'on retrouve dans le programme de Sarkozy. Ainsi l'idée du "crédit formation de un an" est directement copiée depuis les rapports de cette institution :"La mondialisation facilite le processus et le rend moins coûteux pour l'économie dans son ensemble grâce aux flux de capitaux, aux innovations technologiques et à la baisse des prix des importations. La croissance, l'emploi et le niveau de vie atteignent tous des chiffres supérieurs à ce qu'ils auraient été dans une économie fermée.
Cependant, ces avantages sont le plus souvent répartis inégalement entre les pays et certains segments de la population risquent d'y perdre. Par exemple, il se peut que les travailleurs des vieilles industries sur le déclin aient des difficultés à se recycler dans la nouvelle économie.
Que doivent faire les autorités? Doivent-elles essayer de protéger des groupes particuliers comme les travailleurs à bas salaire ou ceux des vieilles industries, en limitant les échanges ou les flux de capitaux? L'aide partielle qu'elles peuvent ainsi apporter à court terme porte atteinte en fin de compte au niveau de vie de la population en général. Elles devraient plutôt appliquer des politiques qui encouragent l'intégration dans l'économie mondiale tout en mettant en place des mesures pour aider ceux qui sont gravement touchés par les mutations. Il serait plus avantageux pour l'économie dans son ensemble de prendre des mesures qui favorisent la mondialisation en stimulant l'ouverture de l'économie et qui, en même temps, s'attaquent sérieusement à la question du partage des bienfaits de cette ouverture. Les autorités devraient privilégier deux domaines importants :
• L'éducation et la formation professionnelle, afin que les travailleurs puissent avoir la chance d'acquérir les compétences nécessaires dans une économie en constante mutation;
• Une protection sociale bien ciblée pour aider ceux qui perdent leur emploi." (19)

13. A cela il faut opposer cette réplique de Jacques Sapir : "Je crois que derrière le libre-échange, il y a deux débats, extrêmement importants. Il y a un premier débat général qui consiste à dire que fondamentalement l’abandon de tout obstacle à la circulation des biens et des capitaux engendre toujours et partout des situations qui sont favorables au plus grand nombre. Ce qui est faux. Les économistes le savent : ce n’est juste que dans conditions extraordinairement restrictives qui ne s’appliquent pas au monde réel. Nous savons que d’un point de vue général l’idée qui consiste à dire le libre échange est toujours et partout la meilleure des solutions n’est pas validée par nos connaissances en économie.
Après, il y a un deuxième débat, que je dirais plus contextualisé, qui consiste à se poser la question suivante : « Concernant deux ou un certain groupe de pays dont les caractéristiques économiques sont tout à fait semblables, qui ont des législations sociales et écologiques semblables, est-ce qu’il ne faut pas désarmer les protections tarifaires ? Est-ce que dans ce cas l’élargissement de la taille du marché n’est pas souhaitable ? ». C’est quelque chose qui se discute au cas par cas, il n’y a pas de lois générales. Quelquefois, c’est vrai, il vaut mieux effectivement procéder à un désarmement douanier tarifaire, mais il y a des cas où, malheureusement, ça ne s’applique pas." (20)
C'est cette analyse pertinente que vient appuyer le récent rapport de la CNUCED (21) selon lequel : "La CNUCED engage les gouvernements à faire montre de volontarisme dans leurs politiques macroéconomiques et industrielles pour doper l’investissement privé et le progrès technologique et stimuler la dynamique des marchés: ce sont des décisions risquées et innovantes, propices à l’esprit d’entreprise, qui se traduisent par de nouvelles gammes de production et la création d'entreprises et d'emplois. Les gouvernements devraient également protéger, s’il y a lieu, les entreprises naissantes, notamment en recourant avec circonspection aux subventions et aux droits de douane."

Pour résumer : il faut se dire que le travail ne dépend pas de la volonté de travailler plus longtemps mais de commandes et de débouchés liés au pouvoir d'achat intérieur et aux opportunités commerciales ; que selon la loi de l'offre et de la demande, chère aux laudateurs du tout-marché, dans un contexte de dérégulation des prix : plus d'offres d'heures de travail sur le "marché" tend à faire baisser son prix et travailler plus longtemps fait automatiquement gagner moins.

En guise de conclusion je me contenterai de citer Platon qui décrit déjà, vers 380 av. JC, le danger que fait peser le démagogue sur la paix publique :
"Dans les premiers jours, il sourit et fait bon accueil a tous ceux qu'il rencontre, déclare qu'il n'est pas un tyran, promet beaucoup en particulier et en public, remet des dettes, partage des terres au peuple et à ses favoris, et affecte d'être doux et affable envers tous, n'est ce pas ? [...] Mais quand il est débarrassé de ses ennemis du dehors, en traitant avec les uns, en ruinant les autres, et qu'il est tranquille de ce coté, il commence toujours par susciter des guerres, pour que le peuple ait besoin d'un chef. [...] Et aussi pour que les citoyens, appauvris par les impôts, soient obligés de songer à leurs besoins quotidiens, et conspirent moins contre lui. [...] Et si certains ont l'esprit trop libre pour lui permettre de commander, il trouve dans la guerre, je pense, un prétexte de les perdre, en les livrant aux coups de l'ennemi. Pour toutes ces raisons il est inévitable qu'un tyran fomente toujours la guerre. [...] Et n'arrive t'il pas que parmi ceux qui ont contribué à son élévation, et qui ont de l'influence, plusieurs parlent librement soit devant lui, soit entre eux, et critiquent ce qui se passe - du moins pour les plus courageux ? Il faut donc que le tyran s'en défasse, s'il veut rester le maître, et qu'il en vienne à ne laisser, parmi ses amis comme parmi ses ennemis, aucun homme de quelque valeur. [...]
D'un oeil pénétrant il doit discerner ceux qui ont du courage, de la grandeur d'âme, de la prudence, des richesses ; et tel est son bonheur qu'il est réduit, bon gré, mal gré, à leur faire la guerre à tous, et à leur tendre des pièges jusqu'à ce qu'il en ait purgé l'Etat. - Belle manière de le purger ! Oui, dis-je, elle est à l'opposée de celle qu'emploient les médecins pour purger le corps ; ceux-ci en effet font disparaître ce qu'il y a de mauvais et laissent ce qu'il y a de bon : lui fait le contraire." (22)


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(1) http://cluaran.free.fr/dette.html
(2) http://democratie-directe.blogspot.com/2007/02/dette-externe-en-france-vu-par-la-cia.html
(3) http://www.humanite.fr/journal/2004-04-13/2004-04-13-391824
(4) http://www.dsk2007.net/Le-mythe-du-tresor-cache.html
(5) http://www.leblogfinance.com/2006/03/fallaitil_vendr.html
(6) http://www.leblogfinance.com/2006/04/rions_jaune_ave.html
(7) http://www.gold.org/value/reserve_asset/gold_as/background.html
(8) http://www.lesechos.fr/info/france/4562537.htm
(9) http://hebdo.nouvelobs.com/p2211/articles/a336789.html
(10) http://www.contrecourant.org/article.php?id=118
(11) http://www.lemonde.fr/web/articleinteractif/0,41-0@2-823448,49-889628@45-3275@51-823374,0.html
(12) Extrait du discours de Nicolas Sarkozy à Douai. 26/03/2006.
http://www.u-m-p.org/site/index.php/ump/s_informer/discours/nicolas_sarkozy_pour_une_france_plus_juste_douai_lundi_27_mars_2006
(13) (source : l'interview de Nicolas Sarkozy dans l'emission « A vous de juger » sur France 2. 30/11/2006)
(14) http://www.alternatives-economiques.fr/site/images_site/imageparnumero/hs72gr003.pdf
(15) Denis Clerc http://www.alternatives-economiques.fr/site/hs72_003_35heures.html
(16) Vincent Champain http://www.telos-eu.com/2007/03/voter_sarkozy_une_reponse_a_ol.php
(17) http://www.contrecourant.org/article.php?id=101
(18) 16 novembre sur le plateau de l'émission politique de France 2 avec Arlette Chabot "A vous de juger" http://programmes.france2.fr/a-vous-de-juger/25903764-fr.php
(19) http://www.imf.org/external/np/exr/ib/2000/fra/041200f.htm#X
(20) http://dsedh.free.fr/transcriptions/Sapir153.htm
(21) CONFÉRENCE DES NATIONS UNIES POUR LE COMMERCE ET LE DÉVELOPPEMENT
(22) Platon La République 566, 567

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